Arnaud Vrech © Marie-Clémence David
Arnaud Vrech © Marie-Clémence David

Arnaud Vrech : « Dire au plateau les mots d’Hervé Guibert est un geste politique bouleversant »

À la Comédie de Béthune, le metteur en scène et fondateur du Collectif Aubervilliers adapte À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, roman auto-fictionnel d'Hervé Guibert. L'occasion d'une rencontre avec ce jeune meneur de troupe.

Arnaud Vrech : Créé en 2018 à Lille, le Collectif Aubervilliers est né à mon initiative. J’avais envie d’une structure pour penser la mise en scène et développer une recherche artistique. J’ai donc invité des collaboratrices et collaborateurs à y participer. Le théâtre est une expérience collective, et c’est cela qui le rend si précieux. Certaines collaborations existent depuis le début du Collectif Aubervilliers, voire avant. Je crois que nous avons développé ensemble une façon de travailler, de penser et de créer, en mouvement.

d’après le roman « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » Hervé Guibert, mise en scène d'Arnaud Vrech © Charles Leplomb
© Charles Leplomb

Arnaud Vrech : Ma formation à Lille a été très inspirante et fondatrice. La pédagogie de Stuart Seide m’a profondément marqué au Théâtre du Nord. J’y reviens encore aujourd’hui. Par exemple, j’ai souvent en tête cette phrase de Peter Brook : « Le lieu est vide, des gens bougent, d’autres les regardent : l’acte théâtral existe. »

Ensuite, une évidence s’impose parfois à la genèse d’une création. Un son ou un espace peuvent susciter le désir de se rapprocher d’une œuvre littéraire. À partir de là commence un long processus de rencontres, de lectures et de projections avant d’entamer le travail avec les interprètes sur scène. Par ailleurs, certaines présences peuvent être inspirantes, notamment celles qui doutent ou qui réagissent à une assignation sociale. Hervé Guibert fait partie de ces figures qui m’ont marqué. L’archive de l’INA sur la remise du prix pour le scénario original de L’Homme blessé est édifiante. On l’y voit en retrait de Patrice Chéreau, manifestement ému, pas à sa place, mais intensément présent.

Arnaud Vrech :Le travail en équipe implique une rigueur. C’est dans un cadre que la liberté peut s’exprimer. Il nous a fallu nous apprivoiser, nous enseigner mutuellement, puis intégrer de nouvelles collaborations et les inviter à partager nos émotions les plus intimes et les plus sincères. Créer sur la durée implique aussi une forme de fidélité.

Depuis 2019, je travaille avec Franziska Baur, dramaturge et traductrice. Jusqu’à présent, notre travail s’est toujours articulé autour d’une matière textuelle. Le texte est une base essentielle et fondatrice dans notre recherche artistique. Ce qui nous plaît, c’est l’idée de revenir à l’essence même du théâtre : faire confiance à sa machinerie et à l’artisanat de l’interprète. Il s’agit pour nous de trouver une justesse, une recherche qui s’enrichit des rencontres et des échanges de points de vue autour de chaque création.

d’après le roman « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » Hervé Guibert, mise en scène d'Arnaud Vrech © Charles Leplomb
© Charles Leplomb

Arnaud Vrech : Je l’ai découvert en travaillant sur Jean-Luc Lagarce lors de ma formation au Théâtre du Nord. Depuis, j’ai exploré la diversité de son œuvre dont la singularité offre une puissante traduction théâtrale, encore trop peu exploitée à mon sens.

Hervé Guibert incarne une époque. Il est une figure historique qui a participé aux mouvements sociaux et politiques. Au-delà de son style puissant, il a été un précurseur, et, malgré lui, une inspiration pour de nombreux jeunes, leur ouvrant des voies fondamentales tant dans la pensée, la réflexion que dans une forme d’engagement.

Aujourd’hui, il agit dans ma vie comme un fantôme, ou comme un reflet dans un miroir, tout comme les figures qu’il a explorées dans ses récits et photographies. Pour moi, le théâtre reste un lieu sacré où les fantômes ont leur place. J’aime passer du temps dans les théâtres, ces espaces marqués d’un léger décalage avec la temporalité du quotidien. 

© Charles Leplomb
© Charles Leplomb

Arnaud Vrech : Chaque année, des millions de morts sont encore liées au sida dans le monde, principalement parmi les jeunes. Nés dans les années 90, nous n’avons pas connu l’époque où l’on découvrait ce virus qui a foudroyé une génération, d’abord sous-estimé. L’histoire du sida est toujours en cours, non achevée.

En France, Hervé Guibert est devenu une figure iconique de cette histoire. Il fut l’un des premiers à témoigner avec une transparence radicale, parfois provocatrice, et a transformé cette posture en une œuvre qui perdure. Dire ses mots sur une scène en 2025 reste un geste politique et bouleversant.

Arnaud Vrech : En septembre dernier, nous avons créé Footballeur, une pièce de Simon Diard, revendiquant l’héritage d’Hervé Guibert. Elle sera jouée en mai prochain au Théâtre de la Tempête à Paris. 

Par ailleurs, à partir de juillet 2025, je serai artiste associé à la Comédie de Béthune pour trois ans. Ce cadre précieux permettra de poursuivre et enrichir notre recherche théâtrale sur un territoire. 

Arnaud Vrech : On ressort beaucoup cette phrase en ce moment : « Le vieux monde se meurt lentement et un nouveau tarde à apparaître. Dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Pour la suite, souhaitons-nous d’être attentifs.


Hervé Guibert d’après le roman À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie
Comédie de Béthune
138, rue du 11 novembre
62400 Béthune

du 5 au 7 mars 2025

adaptation et mise en scène d’Arnaud Vrech
adaptation et dramaturgie de Franziska Baur
avec Cecilia Steiner, Clément Durand, Johann Weber
création lumières et son de Mathieu Barché
regard chorégraphique de Vincent Dupuy

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