Une femme et un homme. Lisbeth (Yete Quieroz) vit à Roscoff. Chris (Vincent Heden) est de Guernesey. Elle est une jeune fille sans histoire, lui est marionnettiste. Un jour, sur les docks de la ville bretonne, il lui conte les amours maudites d’un flûtiste et d’une sirène. Le coup de foudre entre ces deux êtres sensibles est immédiat. Les deux amants se donnent rendez-vous le lendemain sur la falaise qui surplombe la ville, rêvant ainsi de s’envoler vers tous les possibles. Mais Dragon (Florian Bisbrouck), l’affreux proxénète qui tient sous sa coupe toute la cité, ne l’entend pas ainsi. Obsédé par Lisbeth qui lui résiste, il tabasse le chétif Anglais, le laissant pour mort, puis rejoint l’objet de ses désirs, qui, pour lui échapper, saute dans le vide.
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Les deux amoureux ne meurent pas, mais sont salement amochés. Retourné sur son île, Chris, la gueule cassée, tente de reprendre goût à la vie. Elle, clouée sur un fauteuil, peine à se reconstruire. La guerre de 14-18 éclate. L’un a perdu la mémoire, l’autre a le cœur qui saigne, pensant avoir été abandonnée par son bel amour. Mais la vie réserve des surprises aux amants. Ne dit-on pas, dans les contes, que les amours finissent toujours par triompher ?
Première percée en terre opératique
Pour son premier opéra, Jean-Marie Machado s’inspire, comme le laisse entendre le sous-titre, du « diskan » breton qui s’apparente à une forme de contre-chant spécifique à la musique celtique. Entremêlant ainsi les langues, les chants, le parler, les instruments, le jeu et la danse, il construit, à la manière d’une comédie musicale, une partition faite d’une succession de saynètes. C’est le problème de ce spectacle. Le livret, véritable faiblesse de cette œuvre, accentue le côté décousu en se perdant dans des récits annexes et des digressions qui alourdissent le propos sur les amours éternelles.
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En confiant à Jean Lacornerie, spécialiste du genre – L’Opéra de Quat’sous, The Pajama Game et plus récemment Woman of year – la mise en scène, le compositeur touche juste. Dans un décor très simple, fait de gradins et d’échafaudages en métal, où cohabitent chanteurs et musiciens, l’artiste strasbourgeois stimule habilement l’imaginaire du spectateur et l’invite à voyager de la Bretagne à Guernesey, d’une place de ville aux docks, en passant par les hauteurs d’une falaise ou les coursives d’un hôpital. Tirant davantage sur la comédie musicale que sur l’opéra, La Falaise des lendemains repose beaucoup sur l’orchestre qui est le cœur vibrant de cette production.
Hybridation des genres musicaux
Malgré quelques temps morts entre certaines scènes, la rythmique, soutenue par cette conjugaison de styles musicaux allant du folk au jazz, et séquences plus traditionnelles et évidemment un peu de classique, reste assez efficace et invite à la rêverie au cœur des légendes bretonnes. Cette lande aride, battue par les vents et la mer, est propice à toutes les tragédies. On peut regretter l’utilisation de micros pour soutenir les voix des artistes, mais elle s’avère nécessaire pour faire contrepoint à la musique jouée en direct par l’excellent Ensemble Danzas et dirigé par le talentueux Jean-Charles Richard.
Objet non identifié, ce premier opéra de Jean-Marie Machado n’évite pas quelques écueils, mais la beauté du geste et le plaisir d’entendre la rugosité de la langue bretonne a quelque chose de fort séduisant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nantes
La Falaise des lendemains, jazz Diskan opéra de Jean-Marie Machado
Création le 7 novembre 2024 à l’Opéra de Rennes
Tournée
26 au 28 février 2025 au Théâtre Graslin-Nantes
24 Avril 2025 au Grand Théâtre-Angers
D’après le livret de Jean-Jacques Fdida
Composition et orchestration de Jean-Marie Machado
Direction musicale de Jean-Charles Richard
Mise en scène de Jean Lacornerie assisté de Renaud Boutin
Chorégraphie de Raphaël Cottin
Scénographie de Lisa Navarro
Costumes de Marion Benagès
Lumières et direction technique de Kevin Briard
Avec Karine Serafin, Gilles Bugeaud, Florian Bisbrouck, Nolwenn Korbell, Florent Baffi, Yete Queiroz, Cécile Achille, Vincent Heden & Yete Quieroz
Ensemble Danzas – Sextuor à cordes : Cécile Grenier, Séverine Morfin, Gwenola Morin alto – Clara Zaoui, Guillaume Martigné violoncelle, Sébastien Boisseau contrebasse
Quintet à vents : Élodie Pasquier clarinettes, Stéphane Guillaume flûtes et saxophone ténor, Renan Richard saxophones et flûte traditionnelle, Tom Caudelle saxhorn, François Thuillier tuba
Section rythmique et claviers : Jean-Marie Machado piano, Aubérie Dimpre vibraphone glockenspiel, Marion Frétigny marimba glockenspiel, Ze Luis Nascimento percussions, Didier Ithursarry accordéon, Joachim Machado guitares