Le pari était audacieux : restituer l’esprit en escalier de Georges Feydeau, maître incontesté du vaudeville d’avant-guerre, dont l’univers repose sur des enchaînements de quiproquos. Et même s’il faut parfois s’accrocher pour ne pas perdre le fil du récit – tant les répliques fusent et dont les situations absurdes se succèdent à un rythme effréné –, Thierry Thomas réussit à dresser un portrait survolté de l’écrivain dans les dernières années de sa vie, entre éclats de génie et dérive tragique.
Un sens du rythme
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Le roman s’ouvre en 1916, alors que Feydeau vit reclus au Grand Hôtel Terminus, face à la gare Saint-Lazare. Il y fait la rencontre de Virginie, une jeune veuve de guerre qu’il engage comme secrétaire pour l’aider à achever une pièce où un cheval surgit sur scène, emblème parfait de son théâtre surréaliste et rocambolesque. Cette collaboration devient le fil rouge du récit, révélant un écrivain à la fois visionnaire et désabusé, rongé par ses obsessions et son insatiable besoin de création.
Thierry Thomas, grâce à son écriture incisive et enlevée, excelle à capter la vivacité du dramaturge : dialogues affûtés, rebondissements incessants et une ironie mordante qui rappellent les meilleures mécaniques du vaudeville. Mais au-delà de la légèreté apparente, le roman explore aussi la face sombre de l’auteur : son addiction à la cocaïne, ses relations tumultueuses et la maladie qui le précipitera vers la folie.
En contrepoint, Virginie incarne un vent de modernité. Passionnée par le cinéma naissant et la littérature populaire, elle représente une jeunesse tournée vers l’avenir, face à un Feydeau en fin de course. Leur relation, oscillant entre complicité et confrontation, illustre à merveille le choc des générations et l’évolution d’un Paris effervescent.
Une histoire presque vraie
Bien plus qu’une biographie prenant quelques libertés avec la vérité et l’Histoire, Feydeau s’en va est un roman vivant et vibrant où l’on sent, à chaque page, l’énergie du théâtre de Feydeau. Ubuesque et fascinant, oscillant entre rires et larmes, la plume de Thierry Thomas révèle autant l’auteur à succès que l’artiste aux prises avec ses démons et qui sent son temps compté. Détonant et explosif comme un feu d’artifice littéraire !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Feydeau s’en va de Thierry Thomas
Editions Albin Michel
Parution août 2024
Prix conseillé 20,90 euros