Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter une pièce de Pinter ?
Hubert Colas : L’idée est née il y a plus de quinze ans. À l’époque, je venais de terminer une aventure théâtrale autour de Martin Crimp. Marcel Bozonnet, alors administrateur de la Comédie-Française, m’a proposé, en partenariat avec le Festival d’Avignon dirigé par Hortense Archambault et Vincent Baudriller, de monter un diptyque composé d’une pièce contemporaine de Jan Fabre et d’un texte plus classique.
Par intuition, je me suis replongé dans l’œuvre de Pinter et j’ai été frappé par la manière dont Crimp s’inscrit directement dans sa lignée. Par ailleurs, j’ai réalisé qu’à l’époque, Pinter, pourtant prix Nobel de littérature, n’était pas encore au répertoire de la Comédie-Française. Je trouvais intéressant de réparer cet oubli. Finalement, le changement de direction à la Comédie-Française a mis fin au projet, mais je l’ai gardé en tête. Aujourd’hui, le moment m’a semblé propice pour enfin le concrétiser.
Vous avez fait le choix d’une nouvelle traduction ?
Hubert Colas : Il était temps. Les anciennes adaptations étaient datées et ne respectaient pas pleinement la langue, la poésie et la rythmique de Pinter. J’ai donc confié cette mission à Louise Bartlett, qui est notamment la traductrice des œuvres de Kae Tempest. L’objectif était de coller au plus près du texte original et de lui redonner toute sa puissance.
Avec les comédiens, nous avons travaillé directement au plateau avec le texte en anglais. Cela nous a permis de mieux appréhender le ton originel et d’effectuer des allers-retours avec la traductrice pour rester fidèles à la pensée satirique et raffinée de Pinter.
C’est la dernière pièce de Pinter…
Hubert Colas : Oui, elle a été publiée en 1999 et créée en 2000. Ce qui est frappant, c’est la manière dont elle résonne encore aujourd’hui. À travers ce dîner d’anniversaire, Pinter aborde le sexisme, le patriarcat, et le repli sur soi, des thèmes qui sont malheureusement toujours d’actualité.
Pour renforcer cette dimension sur scène, j’ai choisi de mettre en scène des acteurs qui s’apprêtent à jouer la pièce. Chaque soir, la distribution est tirée au sort, introduisant ainsi une instabilité qui m’intéresse particulièrement.
Votre approche du théâtre interroge sans cesse les formes et les récits. Comment définiriez-vous votre démarche artistique aujourd’hui ?
Hubert Colas : Je crois profondément que la création doit être un terrain d’exploration, un espace où l’on accepte de ne pas savoir. Je cherche à me déstabiliser moi-même, à ne jamais m’enfermer dans un processus trop maîtrisé. Il est essentiel de garder un rapport vivant à l’inconnu, car c’est là que se joue la véritable expérience artistique.
Prenons l’exemple de La Mouette de Tchekhov, que j’ai montée en 2017. Ce texte est un monument du répertoire, que l’on croit connaître par cœur. J’ai voulu explorer comment des écrivains contemporains pouvaient s’en emparer aujourd’hui, et comment il pouvait résonner face aux mutations de notre monde.
Ce rapport à l’inconnu et à la prise de risque semble central dans votre travail…
Hubert Colas : Absolument. Cela transparaît notamment dans mon travail sur les écritures contemporaines, comme Partout le feu d’Hélène Laurain et L’Été des charognes de Simon Johannin.
Dans Partout le feu, j’ai collaboré avec Stéphanie Aflalo, une artiste dont la sensibilité et l’engagement m’ont marqué. Le spectacle explore l’humanité contemporaine, en particulier les figures masculines et féminines dans notre société. Il y a un travail fascinant sur l’écoute et la redéfinition des comportements masculins.
À l’opposé, L’Été des charognes repose sur une énergie brute, une écriture qui bouscule. Ce texte dresse un portrait acéré de la jeunesse et du monde rural, sans tomber dans le misérabilisme. Ce contraste entre la nuance et la violence me passionne.
Vous dirigez également le Festival Actoral, qui va fêter ses 25 ans…
Hubert Colas : Actoral est une aventure extraordinaire, née du désir d’offrir un espace aux écritures contemporaines, qu’elles viennent du théâtre, de la danse, des arts visuels ou de la littérature.
Cependant, nous évoluons dans une économie fragile. La fermeture de Montevidéo, notre lieu de création et de répétition, a été un choc. Aujourd’hui, nous attendons toujours un lieu stable, et cela qui pèse lourdement sur notre travail.
Comment envisagez-vous l’avenir du Festival ?
Hubert Colas : J’espère que les institutions prendront conscience de l’importance d’Actoral. Ce Festival ne se limite pas à une programmation annuelle, c’est une plateforme d’expérimentations et de rencontres essentielles.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Hubert Colas : De l’écoute. De la reconnaissance pour ce que nous avons construit. Et surtout, un lieu, enfin, pour que nous puissions continuer à inventer, à rêver.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Célébration d’Harold Pinter
création du 19 au 21 février 2025 au Nouveau Théâtre Besançon – CDN
Tournée
27 février au 1er mars à La Criée – Théâtre National de Marseille
Nouvelle traduction de Louise Bartlett
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas – Cie Diphtong
Avec Penélope Estevez, Emile-Samory Fofana, Carine Goron, Harold Henning, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Thierry Raynaud, Kervens St Fort, Manuel Vallade
Assistante à la mise en scène – Lisa Kramarz
Stagiaire assistant à la mise en scène – Sasha Paula
Son de Frédéric Viénot
Création musicale de Jardin
Lumière deSasha H & Hubert Colas
Vidéo de Morvan Hauray
Régie plateau – Victoria Pellissier
Costumes de Carmen Buisson assistée de Julie Brones
Masques de Virginie Breger assistée de Lisa Kramarz
L’Arche est agent théâtral du texte représenté.
Partout le feu d’Hélène Laurain
création le 15 janvier 2025 au CentQuatre, Paris dans le cadre du Festival Les Singulier·es
Tournée
2 au 4 avril 2025 au Théâtre Joliette, Marseille
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas
Avec Stéphanie Aflalo
Vidéo de Pierre Nouvel
Lumière de Nils Doucet, Hubert Colas
Assistant à la mise en scène – Hao Yang
régie son – Sammy Bichon
régie vidéo – Morvan Hauray
L’Eté des charognes de Simon Johannin
création le 25 mars 2023 au Théâtre des Calanques à Marseille
Tournée
12 au 15 mars 2025 au Théâtre Garonne, Toulouse
13 mai 2025 au ZEF, scène nationale de Marseille
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas assisté de Salomé Michel
avec Thierry Raynaud
Régie générale et son – Frédéric Viénot
Régie lumière – Nils Doucet
Images – Sébastien Pont
Création vidéo – Pierre Nouvel
Régie vidéo – Lucas Tafferant
