Dans la pénombre, un kiosque à musique se dessine. Quelques lumières orange suffisent à en styliser la structure. Ce kiosque que l’on trouve sur de nombreuses places de villages au Portugal symbolise la fête, le besoin de se retrouver et de partager. En son centre, quatre musiciens facétieux miment les chevaux d’un manège. Tournant sans relâche, ils grimacent au rythme des riffs qu’ils grattent sur leur guitare. Première image saisissante d’un temps révolu qui rêve de se réinventer, de transcender l’art du fado et de lui redonner sa place au cœur vibrant de la culture portugaise.
Aux origines du Fado
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Plainte ou mélodie du destin, le fado est souvent associé à un chant mélancolique, une voix qui tremble entre l’ombre et la lumière. En s’emparant de cette discipline, en puisant dans les archives oubliées du XIXe siècle et en revisitant ses codes, Jonas & Lander réveillent une tradition interdite : celle du fado batido, cette danse percussive et fiévreuse censurée au XXe siècle pour son audace érotique et transgressive. À la croisée du concert et de la performance chorégraphique, la pièce ne se contente pas de faire revivre un héritage oublié : elle l’explose, le secoue, le projette dans le présent avec une énergie à couper le souffle.
Frappant des pieds, claquant des mains, virevoltant, laissant les vibrations de la musique traverser leurs corps, muscles et chair, les quatre musiciens, les quatre danseurs – deux femmes et deux hommes – et un chanteur déploient sur scène un rituel hypnotique, où le sol devient un instrument et les corps une partition vivante. Bottines ferrées aux pieds, les interprètes martèlent les planches du théâtre dans une pulsation frénétique. La voix envoûtante et incantatoire de Jonas n’a plus qu’à les suivre jusqu’à l’épuisement. Il y a dans leurs gestes quelque chose de brut, de viscéral, une sorte de transe où la mémoire du fado dialogue avec le présent. Par leur engagement, ils font de ces partitions aux accents nostalgiques des espaces de contestation et de revendication.
D’hier et de demain
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Loin d’être un simple hommage, Bate Fado est avant tout une réinvention qui se joue des codes et de l’histoire. Brisant l’image du fadista masculin dominant, la danse pensée par le duo Jonas&Lander insuffle une liberté physique débridée à cet art séculaire. Entre théâtre, performance et musique, ils créent une harmonie parfaite où se libèrent les corps et les esprits. Le sensuel et le charnel l’emportent sur les carcans rigides d’une société qui, sous Salazar, s’était repliée dans une morale et une pruderie d’inspiration religieuse.
La force de cette pièce réside autant dans l’implication des artistes, dans leurs facéties et leur autodérision, que dans un respect profond pour l’histoire et un refus catégorique d’un folklore figé. Deux heures durant, tous mouillent leurs chemises et libèrent une énergie folle et communicative. L’immersion au cœur de ce fado renouvelé est totale. Debout, le public en demande encore et encore. Alors, dans une dernière pirouette, Jonas entonne Padam, Padam d’Édith Piaf, que la salle reprend aussitôt en chœur. Un moment d’émotion pur où passé et présent se conjuguent à l’unisson. Fascinant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Genève
Bate Fado de Jonas&Lander
Festival Antigel
Théâtre du Forum Meyrin
Place des Cinq-Continents 1
1217 Meyrin
Le 19 février 2025
Durée 1h45
Tournée
19 au 22 mars 2025 au Théâtre du Rond-Point, Paris
Recherche de Jonas et Lander Patrick
Composition Musicale – Jonas&Lander
Direction Musicale – Tiago Valentim
Avec Catarina Campos, Jonas, Lander Patrick, Lewis Seivwright et Melissa Sousa / Leidymar Barbosa (en alternance)
Voix – Jonas
Instruments : Basse – Yami Aloelela, Guitare – Tiago Valentim, Guitare Portugaise – Bernardo Romão et Hélder Machado
Scénographie de Rita Torrão
Costumes de Fábio Rocha de Carvalho et Jonas
Chaussures de Gradaschi
Assistance Scénographie et Costumes – Fábio Rocha de Carvalho
Conception Lumières – Rui Daniel
Direction Technique et Opération Lumières – Bruno Santos / Jean-Pierre Legout (en alternance)
Opération Sonore – Filipe Peres / João Pedreira (en alternance)