Sur la scène du studio du Théâtre de la Concorde, Julia de Gasquet, Léonor de Récondo et Mélanie Traversier répètent Le désir du désir du désir. S’emparant des Nouvelles Lettres portugaises, écrites en 1972 par Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho da Costa, ainsi que des Lettres de la religieuse portugaise de Gabriel-Joseph de Guilleragues, éditées au XVIIe siècle et auxquelles elles font écho, l’autrice de Point Cardinal imagine un impromptu à trois voix.
Chacune, avec sa sensibilité et sa personnalité, s’empare de ces mots qui disent tant de la condition féminine d’hier et d’aujourd’hui. Passionnées, furieuses ou violentes, les trois artistes font résonner toute la poésie et l’essence même de ces femmes. « L’histoire a commencé à l’été 2023, lors du Festival littéraire Le Banquet du Livre de Lagrasse (Aude). C’est là que nous nous sommes rencontrées avec Mélanie et Léonor. Assez vite, le courant est passé entre nous et une complicité artistique s’est installée. Quelques mois plus tard, Léonore, alors en pleine promotion de son roman Le Grand Feu, m’a demandé d’imaginer un projet que nous pourrions défendre toutes les trois. »
Un ouvrage puissant et féministe

L’un des premiers ouvrages qui lui vient en tête est un texte qu’une amie, Alexandra Moreira da Silva, professeure à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne-Nouvelle, lui a mis entre les mains alors qu’elle était directrice artistique du Festival de la Correspondance de Grignan. Il s’agit des Nouvelles Lettres portugaises, traduites notamment par Monique Wittig. « Les écrits de ces trois Marias m’ont profondément marquée. Un temps, j’ai même eu l’envie de les monter à Grignan, mais je n’ai jamais trouvé le temps. J’en confie alors un exemplaire à Léonore, qui l’emporte avec elle tout au long de la promotion de son livre. » Sa réaction ne s’est pas faite attendre. Quelques mois plus tard, l’autrice propose une adaptation scénique et une première version du spectacle voit le jour en mars 2024.
Le maillage est ingénieux et concentre en un peu moins d’une heure l’essence même de ce que signifie être une femme. « Léonor a procédé par prélèvements : certains passages sont extraits directement des Nouvelles Lettres portugaises, d’autres sont tirés des lettres de Marianna, la religieuse amoureuse du roman épistolaire de Gabriel-Joseph de Guilleragues, auxquels elle a ajouté ses propres réflexions. Ainsi, en prenant du recul par rapport aux œuvres originales, elle interroge la place des femmes aujourd’hui. »
Un dialogue entre passé et présent
Faisant dialoguer le passé et le présent, les trois comédiennes habitent les mots. Troublante, Julia de Gasquet évoque le plaisir féminin. Plus rageuse, Mélanie Traversier prend les coups et rêve de les rendre. Tandis que Léonor de Récondo fait le lien entre chaque Maria, chaque couleur et émotion qui les traversent.
Grâce à une mise en scène quasiment renouvelée à chaque représentation, poésie, militantisme et introspection se mêlent habilement. « Au fil du temps, nous avons beaucoup retravaillé le texte, nous l’avons resserré pour lui offrir plus de clarté et d’intensité. Ainsi, la version que nous présentons ce samedi, amputée d’un quart d’heure, est plus épurée et donne plus d’impact aux mots. »
Incarner et vibrer
Dès la première lecture fin 2023, c’est Léonor de Récondo qui répartit les rôles avec soin : Mélanie Traversier incarne la voix combative et enragée, Julia de Gasquet, celle du désir et de la douceur, tandis que l’autrice joue la voix off, celle qui prend de la distance avec le texte. « Nous n’avons rien contesté à cette répartition qui s’est imposée d’elle-même. »
Pour l’heure, le défi des trois artistes est de s’éloigner de la simple lecture pour incarner pleinement le texte. « Nous voulons nous libérer du support papier pour nous imprégner totalement des mots et les porter avec nos corps. » Toujours en réflexion, les trois comédiennes, sous le regard du créateur lumière du Théâtre de la Concorde, reviennent sur leur métier, reprennent chaque intention pour être au plus près des émotions des personnages et des voix qu’elles interprètent. Le travail est d’autant plus intense qu’il faut recréer l’espace et les effets scéniques.
Un espace de réflexion et de débat
En présentant ce spectacle au Théâtre de la Concorde, nouveau lieu démocratique, Julia de Gasquet espère créer le débat et permettre aux jeunes spectateurs, notamment les étudiants de Sciences Po, qui sont conviés à assister à l’une des deux représentations, de questionner, à travers le regard des trois Marias, la société portugaise au temps de la dictature de Salazar, ainsi que leurs combats féministes et les mouvements de libération de la parole. « Loin d’être un réquisitoire, explique la comédienne, la pièce interroge la place du désir, de l’amour et de la liberté dans la vie des femmes. Ce n’est pas un texte de haine, mais une tentative de comprendre comment aimer sans renoncer à soi-même. »
Passionnée, la comédienne et metteuse en scène porte ce projet et compte bien le diffuser largement, notamment en juillet prochain au Banquet du Livre de Lagrasse. Laissez-vous tenter, les trois artistes ont su nous mettre l’eau à la bouche par leur présence tant lumineuse que pleinement engagée.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le désir du désir du désir : trois femmes, une quête d’émancipation
un projet de Léonor Confino, Mélanie Traversier et Julia de Gasquet
Théâtre de la Concorde
1-3 avenue Gabriel
75008 Paris
15 et 18 février 2025
Durée 1h environ