Figure entrée dans la légende avant d’être oubliée, Hedy Lamarr retrouve aujourd’hui, grâce au théâtre, une place sous les projecteurs. Après plusieurs créations consacrées à des auteurs viennois, dont Thomas Bernhard, Aurélie Pitrat s’empare du destin fascinant de cette étoile du Hollywood des années trente. Si la mémoire collective a surtout retenu son visage angélique, l’actrice était aussi une brillante scientifique. Parmi ses nombreuses inventions, son système de codage des transmissions de données est encore utilisé aujourd’hui dans les GPS et le Wi-Fi.
La tête et les jambes

Mais Sept secondes d’éternité ne cherche pas à sublimer son héritage : il le confronte à la dure réalité de son déclin. L’hommage prend d’emblée une tournure grinçante. La pièce s’ouvre sur une courte apparition, mais hilarante, d’une Hedy jeune, à l’accent allemand aussi chantant que prononcé. Puis, un simple passage derrière le rideau suffit à tout faire basculer. Aurélie Pitrat réapparaît sous les traits d’une vieille femme aux faux airs de Mamie Nova, assise et un verre de Whisky à a la main.
Après une vie à être exploitée et méprisée par les hommes, Hedy Lamarr prend enfin la parole et ses confessions sont cinglantes. De son mariage de raison avec un marchand d’arme juif, aux « sept secondes d’éternité » (son apparition nue dans le film Extase, de Gustav Machaty), qui lui valurent d’être réduite à « des nibards et un cul » tout au long de sa vie, l’actrice ne fait pas dans la dentelle.
Un hommage fragile
Les anecdotes s’enchaînent, les injustices s’accumulent… tandis que la comédienne reste désespérément immobile dans son fauteuil de salon. La mise en scène, réduite à peau de chagrin, ne fait qu’accentuer la solitude du personnage. Ainsi la vieille Hedy parle, s’arrête, hésite entre rire et larmes. C’est sans doute la grande limite de ce monologue écrit « en hommage » à la star par un homme, l’écrivain autrichien Peter Turrini : en insistant sur la détresse d’une femme brisée par le mépris des hommes et l’oubli du monde, il en oublie presque son génie.
Lorsque, après une heure et demie, Hedy se lève enfin… c’est pour quémander un peu d’alcool et d’attention aux spectateurs. Ce geste final interroge : à force de raconter le malheur de l’actrice, la pièce ne finit-elle pas par reproduire l’injustice qu’elle dénonce ? En montrant la comédienne seulement sous les traits d’une femme usée par le regard des autres, Sept secondes d’éternité occulte une part essentielle de son histoire : sa force, son intelligence, son génie. Comme si, encore une fois, on peinait à représenter le génie au féminin.
Emma Poesy, envoyée spéciale à Lyon
Sept secondes d’éternité de Peter Turrini
Théâtre de l’Élysée
14 rue Basse-Combalot
69007 Lyon
du 2 au 14 février 2025
Tournée
1er au 6 avril 2025 au théâtre de la Reine Blanche à Paris
Dates passées
7 février au Centre Dramatique Des Villages, Mornas
Conception et jeu – Aurélie Pitrat
Collaboration artistique et direction d’actrice – Olivier Barrère, Nathanaël Maïni
et Virginie Schell
Costumes et scénographie de Thomas Marini
Construction – Raphaël Soleilhavoup
Peinture de Delphine Chmielarski
Création lumière – Lionel Petit
Régie – Christophe Ricard