Ou bien les frontières ne sont pas tout à fait définies, ou bien les limites ont été tracées dans le seul but d’être franchies. Au sol, des tapis d’un vert délavé assemblés les uns aux autres dessinent une forme indéterminée, dépassant de toutes parts comme pour aller grignoter l’espace. Sur ce plateau où les corps n’ont pas commencé à évoluer, l’enjeu est déjà au mouvement, même imperceptible. Au bout de ce monde, Marc Sens fait entendre les premiers riffs de sa guitare électro-dystopique dont il frotte les cordes sur ses cuisses. Le ton est donné : dans cet Empire, la musique se mêlera au bruit, le chant deviendra un cri, et les corps entreront en interdépendance, dans l’ascension comme dans la chute.
La recherche et le doute
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Pour cette nouvelle création, la compagnie La Zampa affirme une démarche d’écriture au carrefour de bien des univers. Nourris d’entretiens avec différents spécialistes autant que des parcours de leurs interprètes, Magali Milian et Romuald Luydlin donnent naissance à un objet chorégraphique aux visages multiples. Tantôt inspiré du judo, tantôt de la contredanse anglaise, Empire développe surtout un vocabulaire qui lui est propre, à la faveur d’une forme hybride aussi visuelle que sonore. Et quand, ici ou là, perce un mouvement – corporel ou musical – presque identifiable, celui-ci se dissout instantanément pour laisser place à une autre hypothèse.
Car si le spectacle ainsi proposé apparaît millimétré en tous points, il traduit avant tout un travail de recherche fait de théories et de tentatives. À mesure que s’esquissent les contours de cet Empire, rien ne semble en effet considéré comme acquis. Au contraire, les corps doutent d’eux-mêmes et s’interrogent sur leurs rapports aux autres aussi bien qu’à leur espace. De la sorte, un ballet d’observations et d’explorations se met en branle, dans un flux constant – rappelé par les lumières en va-et-vient de Denis Rateau – que chacun peut décider de subir ou d’affronter.
Pour un empire
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Il y a effectivement quelque chose de l’ordre du choix – libre ou non –, dans cette nouvelle pièce de La Zampa. Avancer ou tomber, seul ou à plusieurs, diriger ou suivre, occuper l’espace ou le transgresser… Les possibilités sont infinies et chacune d’entre elles ouvre à une version différente de ce que peut être un empire. Et pour cause, de considérations personnelles en enjeux collectifs, c’est là toute la réflexion posée. Mais à en croire les éléments de réponse avancés par les six corps au plateau et l’univers sonore qui les enveloppe, la solution est, elle aussi, composite.
Alors peu importe que le sol prenne l’apparence d’un dojo ou d’une prairie, puisque l’essentiel réside dans ce que les individualités sont capables de construire dans un espace commun. Qu’ils en soient les initiateurs ou qu’ils en reflètent les postures et les attitudes, les interprètes déploient toute une palette de figures. Après tout, un empire implique nécessairement de suivre ou d’être suivi. À moins qu’il reste encore, dans l’occupation de l’espace, dans la transformation du geste ou dans l’écho des notes, une forme d’affranchissement possible.
Peter Avondo – Envoyé spécial à Marseille
Empire de La Zampa
KLAP – Maison pour la danse
5 Avenue Rostand
13003 Marseille
le 6 février 2025
durée 1h15
Tournée
11 février 2025 à la Scène nationale d’ALBI-Tarn
13 février 2025 au Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées
18 février 2025 à la Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
20 février 2025 à L’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin
assistante et collaboratrice artistique – Laurie Bellanca
dramaturgie de Marie Reverdy
collaboration et interprétation – Alice Bachy, Joseph Kraft, Romuald Luydlin, Magali Milian, Camilo Sarasa Molina et Anna Vanneau
musique live de Marc Sens
scénographie d’Antoine Desnos, Magali Milian, Romuald Luydlin, Denis Rateau
costumes de Violette Angé
lumière de Denis Rateau
création et régie son de Valérie Leroux