Comment est né ce projet ?
Noham Selcer : De la rencontre entre Nicolas Sene et Christophe Rauck, deux acteurs de la vie artistique et sociale de Nanterre.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à l’aventure ?
![NEMETEDORUM de Noham Selcer © Géraldine Aresteanu](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Nemetedorum2@GeraldineAresteanu.jpg)
Noham Selcer : C’est très simple et cela me tient particulièrement à cœur : écrire en me confrontant à des territoires et à des histoires ancrées dans le réel. Que ce soit dans le cadre d’un roman ou dans celui d’une pièce de théâtre, j’ai besoin de me nourrir du vécu des gens, d’un paysage et de m’immerger pour comprendre un lieu. Il s’avère que pour des raisons autant personnelles que professionnelles, je passe beaucoup de temps à Nanterre. Cela m’intéressait donc d’aller à la rencontre de sa jeunesse et d’en appréhender les aspirations. Grâce à ce projet, l’occasion m’a été donnée de passer du temps à leur contact, de recueillir leur parole et de la porter sur une scène de théâtre. Je trouvais passionnant de transformer ce qui s’apparente à un documentaire en objet scénique et littéraire.
Comment avez-vous recueilli la parole des quatorze jeunes Nanterriens et Nanterriennes qui participent à Nemetodorum ?
Noham Selcer : Le plus important pour moi était de passer du temps avec eux. J’ai eu la chance d’animer dix ateliers de quatre heures chacun, soit quarante heures à leur contact à les écouter parler, à échanger et à écrire ensemble. Cela a permis d’élaborer un vrai processus pour recueillir leur parole. Ce qui m’intéressait ce n’était pas ce que moi j’avais envie de plaquer sur eux mais bien ce qu’eux avaient à dire. J’ai donc souhaité que les premières séances soient consacrées aux sujets qu’ils avaient envie d’aborder. Dans un premier temps, j’ai ouvert des débats collectifs pour qu’ils évoquent les enjeux de vivre à Nanterre aujourd’hui et les motivations qui les animent. Puis dans un second temps, pour affiner les différentes thématiques qu’ils voulaient traiter, j’ai imaginé des séances de questions individuelles. Cela a permis aux plus timides de s’exprimer.
Par ailleurs, ces premiers temps d’échanges m’ont permis de commencer à imaginer une manière de théâtraliser ces paroles, de leur donner corps et surtout de faire connaissance avec ces quatorze jeunes. Ils ont entre 13 et 25 ans et tous ont rencontré Nicolas Sene dans le cadre de ses activités de coordinateur à l’Espace jeunesse Pablo Picasso de la ville.
Quels sont les sujets qui ont émergé de ces premières séances de travail ?
![NEMETEDORUM de Noham Selcer © Géraldine Aresteanu](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Nemetedorum3@GeraldineAresteanu.jpg)
Noham Selcer : En tout premier lieu, leur ville. Ils en ont marre de n’être vus qu’à travers le prisme des médias qui d’un côté, les voient comme des délinquants et de l’autre comme des gens dénudés de tout et qu’il faut sauver. Je schématise volontairement, mais ils sont profondément marqués par le fait que jamais, on ne leur donne la parole autrement que pour chercher une forme de commisération ou pour illustrer les problèmes d’insécurité et d’immigration. Pour eux, c’est très violent. Par conséquent, ce qui est ressorti des débats, c’est que tous sont fiers d’être Nanterriens. La plupart considèrent vivre dans la meilleure ville du monde.
Riche de ses réseaux solidaires et associatifs, Nanterre cultive le vivre ensemble et le participatif. D’ailleurs, au fil des séances, des lieux emblématiques de la ville sont sortis comme névralgiques dans leur vie : une petite épicerie, un parc, etc. En les écoutant, et j’espère que cela ressortira de la performance, ce qui pour eux est essentiel, c’est leur désir de parler de leur vie, de leur ville et des endroits qui constituent leur quotidien.
Comment avec le matériel que vous avez recueilli l’avez-vous amené au théâtre ?
Noham Selcer : Avant tout, ce sont eux qui écrivent. Je n’ai qu’un rôle de collecteur. C’est drôle d’ailleurs, car lors des derniers ateliers, ils étaient tous sur leurs téléphones à noter des impressions, à mettre en forme leurs idées et noter leurs émotions, les histoires qu’ils avaient envie de raconter. J’ai recueilli toute cette matière et j’ai procédé à un montage de leurs textes. L’important était de garder leur langue, de ne pas les trahir. J’ai juste affiné à la marge pour obtenir une certaine cohérence et corrigé les mots mal employés, mais j’ai conservé leur style, leurs mots.
Par exemple, lors d’une séance, je leur ai demandé de décrire Guernica de Picasso. Puis lors d’une autre, je leur ai proposé de rédiger un texte autour des émeutes suite à la mort de Nahel. J’ai ensuite mixé les textes afin de rendre compte de la violence, mais aussi des émeutes comme mode d’expression. Clairement, c’est avant tout leur écriture que j’ai voulu faire entendre.
C’est le Birgit Ensemble, qui les met en scène, comment avez-vous travaillé ensemble ?
![NEMETEDORUM de Noham Selcer © Géraldine Aresteanu](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Nemetodorum4@GeraldineAresteanu.jpg)
Noham Selcer : Au tout début du processus créatif, la question s’est posée de savoir comment nous allions avancer sans nous marcher dessus, tout en profitant d’une synergie commune. Les choses se sont faites finalement de façon tout à fait naturelle.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Noham Selcer : Je crois que c’est vraiment la rencontre avec ces jeunes, leur amour pour leur ville. Sur scène, j’ai pu voir un filage, ils sont grands. On entend leurs mots, leurs pensées. J’avais remarqué que dès que l’on entre dans l’intimité des gens et qu’on laisse libre cours à leur parole, ils ont la possibilité de s’exprimer, ils livrent une part insoupçonnable d’eux-mêmes. C’est cela qui est passionnant. Et définitivement, c’est ça que je retiendrai, c’est comment je l’ai vue grandir, dans tous les sens du terme, au fur et à mesure du processus créatif.
Vous êtes à la fois auteur de pièces de théâtre et de romans…
Noham Selcer : J’essaie de partager mon temps entre les deux écritures qui sont pour moi très différentes. Très schématiquement, quand j’écris un roman, je suis plus prosaïque, mais quand j’écris une pièce, j’ai besoin de poésie et de monstruosité. Au plateau, le réalisme, le terre à terre ne fonctionnent pas. Quand on regarde les textes de Shakespeare, de Racine, de Molière, cela parle de rois, de reines. Il faut une dimension fantastique. Alors que dans un roman, je trouve plus facile d’évoquer les enjeux du quotidien. Pour le moment, je ne vis pas encore de mon art et je continue à côté de mes activités artistiques, à donner des cours de maths en prépa. Je ne désespère pas d’un jour en vivre…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La tête dans les nuages
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 Avenue Pablo Picasso
92000 Nanterre
8 et 9 février 2025
Page 92
Conception et mise en scène d’Anne Sophie Robin
accompagnée par l’écriture de Philippe Dorin
Collaborateur artistique – Thibault Ruhlmann
Regard chorégraphique – Gilles Nicolas
Musique d’Eric Recordier
Avec l’aimable participation de Fanny Roussel (création vidéo)
Les interprètes amateurs participants au projet – 43 écolier.es de 9 à 10 ans, classes de CM2 des écoles élémentaires Lafontaine et Pâquerettes, quartier du Petit Nanterre
Nemetodorum
Conception Nicolas Sene
Texte et adaptation de Noham Selcer à partir de collectage auprès des particpants
Mise en scène de Jade Herbulot et Julie Bertin du Birgit Ensemble
Artiste graffeur nanterrien Delso
Création son de Lucas Lelièvre
Les interprètes amateurs participants au projet – 14 jeunes adultes Nanterrien.nes