Pour ces derniers jours de répétition, le soleil est au rendez-vous sur la cité phocéenne. C’est dans un café à quelques encablures du KLAP – maison de la danse de Marseille, que Magali Milian, Romuald Luydlin et Laurie Bellanca, leur collaboratrice à la création, font le point sur les séances à venir, le planning et les ultimes réglages. Après deux ans de préparation, beaucoup de recherches tant bibliographiques, physiques qu’artisanales, plusieurs ateliers, performances annexes et figures nées du processus particulier qui a entouré cette création, le spectacle est sur le point de voir enfin le jour.
Un spectacle et ses ramifications artistiques
![Empire de La Zampa © Alain Scherer](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Empire-009-WEB-©Alain-Scherer.jpg)
« Avec Romuald, raconte Magali Milian, quand nous avons commencé à nous pencher sur une future production de notre compagnie La Zampa, le mot Empire nous obsédait. Il tournait dans nos têtes, notamment par sa complexité à le définir. Que l’on soit linguiste ou historien, les notions qui entourent le terme Empire sont multiples et plurielles. La seule certitude, c’est qu’un empire, quel qu’il soit, a un début et une fin. » S’intéressant à son étymologie et à ce que ce mot véhicule dans l’inconscient collectif, les deux chorégraphes sont partis de la question de l’organisation d’un système qui a pour but de diriger et d’étendre son hégémonie.
En parallèle de ces balbutiements de recherche, une autre image s’est superposée : la pratique du judo. De dojo en salle des fêtes ou au cœur de l’espace public en passant par un certain nombre d’institutions, la compagnie de danse contemporaine La Zampa a mis en place tout un réseau qui a permis non seulement d’aller au contact de nouveaux publics, mais aussi de travailler leur spectacle en prenant le temps d’affiner chaque détail, chaque motif. Plus que des initiatives, c’est un véritable travail de territoire qu’ils ont effectué.
Le judo, une des bases de réflexion
![Empire de La Zampa © Alain Scherer](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Empire-041-WEB-©Alain-Scherer.jpg)
Les règles qui régissent la pratique du judo, les mouvements qu’induisent chez chaque combattant la volonté de faire tomber l’autre, vient se confronter aux premières lignes directrices du projet qu’ils étaient en train d’écrire. « C’était fascinant de voir la manière d’enseigner de Guillaume, le prof de notre fils, explique Romuald, son rapport au corps de l’autre, de le définir comme un édifice qu’il faut désaxer pour le mettre à terre. Le langage qu’il employait, entrait parfaitement en résonance avec nos propres réflexions. Assez vite, nous avons proposé à nos danseurs de se former au judo pour en appréhender autrement notre corporalité. »
Si le corps et une forme de théâtralité sont au cœur de leur œuvre, Magali et Romuald aiment aller sur d’autres sentiers. Au côté de Laurie Bellanca, ils se penchent sur différents corpus permettant d’éclairer la notion d’Empire. « Le point de départ de notre collaboration, souligne la danseuse, musicienne et philosophe, était notamment de comprendre comment les questions des autorités qui régissent finalement la société, nous habitent, nous conduisent, nous animent, et nous structurent. En plongeant notamment dans différents ouvrages autour du judo, nous avons pu constituer un certain nombre de mouvements et d’informations permettant de créer de petites formes annexes. »
Un brin de philosophie
![Empire de La Zampa © Alain Scherer](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Empire-136-carre-WEB-©Alain-Scherer.jpg)
Au plateau, Marc Sens accorde sa guitare. Une baguette de batterie à la main, il extirpe d’étranges sons de son instrument. Stridente, mécanique ou lancinante, la musique qu’il produit crée une ambiance singulière, entêtante, voire incongrue. « Nous avons essayé, rappelle Magali Milian, d’entremêler tant au niveau de l’écriture chorégraphique que musicale, de la scénographie et des lumières, de rapprocher des univers très différents. Ainsi, nous nous sommes aussi intéressés à la contredanse anglaise, particulièrement par la manière dont elle régit les relations collectives et spatiales entre les interprètes. Comme pour les autres disciplines, nous avons étudié avec Laurie l’histoire de cette danse et avec Marie Reverdy, notre dramaturge, comment faire sens et spectacle. C’est d’ailleurs elle qui a parlé pour la première fois de la notion de Schyze, c’est-à-dire d’évoquer à travers plusieurs prismes le même objet d’étude. C’est ainsi que le travail de Deleuze et de Guattari est venu alimenter notre réflexion. »
Une écriture ancrée dans un travail bibliographique
Imaginés à partir de motifs rappelant le travail artistique de la plasticienne Élise Péroi qui a collaboré au processus de création, des tatamis verts posés au sol en quinconce dessinent un espace de jeu en construction. Avant de reprendre les grandes lignes, Alice Bachy, Anna Vanneau, Joseph Kraft et Camilo Sarasa Molina s’échauffent bientôt, rejoints par Romuald Luydlin et Magali Milian. Assez vite, les corps se cherchent, se trouvent et se repoussent. Déjà se dessine l’ébauche d’une chorégraphie. Ensemble, ils dessinent différents motifs et sculptent des figures qui servent de base à Empire.
![Empire de La Zampa © Alain Scherer](https://www.loeildolivier.fr/wp-content/uploads/2025/02/Empire-054-WEB-©Alain-Scherer.jpg)
« Chaque enchaînement de mouvement prend racine dans les différents matériaux qui nous ont servi à alimenter le processus créatif, explique Laurie Bellanca. On sait par exemple que la contredanse avait un pouvoir politique. Dans certains cas, restructurer les gestes permettait de rallier le peuple à une cause. Cela va dans le sens de ce que nous souhaitions évoquer autour de la notion d’empire, qui a certes, une connotation négative, mais est aussi une manière de questionner l’organisation de nos sociétés en prenant en compte les héritages logés en nous, malgré nos désirs d’émancipation. En cela, nous avons notamment travaillé étroitement avec Hervé Mazurel historien du corps, des sensibilités et des imaginaires. »
Un vocabulaire pluriel
S’appuyant sur une grammaire extrêmement précise, Romuald Luydlin et Magali Milian tracent différents chemins et différentes lignes directrices. Solo, duo ou danse de groupe, ils imaginent un récit multiple qui permet à chacun de se faire sa propre histoire. Tandis que l’un est au plateau, l’autre est dans la salle pour donner quelques directives. L’ambiance est studieuse, mais pleine de douceur. Les premiers mouvements donnent à voir une toute petite partie de la création à venir et c’est déjà très prometteur.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Empire de La Zampa
KLAP – Maison pour la danse
5 Avenue Rostand
13003 Marseille
le 6 février 2025
durée 1h
Tournée
11 février 2025 à la Scène nationale d’ALBI-Tarn
13 février 2025 au Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées
18 février 2025 à la Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne
20 février 2025 à L’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
chorégraphie de Magali Milian et Romuald Luydlin
assistante et collaboratrice artistique – Laurie Bellanca
dramaturgie de Marie Reverdy
collaboration et interprétation – Alice Bachy, Joseph Kraft, Romuald Luydlin, Magali Milian, Camilo Sarasa Molina et Anna Vanneau
musique live de Marc Sens
scénographie d’Antoine Desnos, Magali Milian, Romuald Luydlin, Denis Rateau
costumes de Violette Angé
lumière de Denis Rateau
création et régie son de Valérie Leroux