Le décor est minimaliste, juste un mégaphone posé au sol. La lutte contre le capital n’a pas besoin d’accessoires. Elle se fait par le corps, la présence et l’acharnement des employés. Le 9 juillet 2021, tout le personnel de l’Usine GKN de Florence, spécialisée dans la fabrication d’arbres à transmission pour différents modèles de voiture, – soit plus de 422 contractuels et 80 intérimaires – est brutalement licencié par mail avec interdiction de revenir sur le lieu de travail. Dario Salvatti, l’un d’entre eux, membre du GKN Workers Factory Collective qui s’est constitué dans la foulée, prend la parole. Face public, il met en lumière les différents mécanismes qui ont mené à cette décision, dictée uniquement par une logique de profit.
En quelques mots, s’appuyant notamment sur les grandes lignes du Capital de Marx, l’homme d’une quarantaine d’années dresse les grandes lignes du spectacle à venir : ses interrogations sur son avenir, les moyens d’agir pour éviter le pire et être le grain de sable dans le rouage trop huilé d’une mondialisation qui a perdu depuis longtemps la notion de l’humain.
Le bras levé pour un autre paradigme
Disparaissant derrière des rideaux de plastique, rappelant ceux qui séparent les différents ateliers de l’usine florentine, il laisse place à ses collègues et à un des deux metteurs en scène. Le prologue terminé, on entre dans le vif du sujet, à savoir le quotidien de ces hommes et de cette femme – la seule salariée – qui se retrouvent à « la rue » du jour au lendemain. Que faire ? Pénétrer par infraction là où hier encore, ils travaillaient ? Occuper les bâtiments vides ? Empêcher la délocalisation du matériel ?
Ensemble, de tout leur poids, ils font tomber le lourd portail de fer, investissent les lieux et décident de la création d’une assemblée permanente qui présidera à toutes les décisions pour leur permettre de défendre leurs droits. Déjà, première victoire, la procédure de licenciement est annulée par le tribunal de Florence qui la juge illégale. Puis, ils cherchent d’autres façons de produire et d’envisager l’avenir à travers une expérience d’autogestion notamment. Loin de toute logique de productivité, ils reconstruisent par touches leur imaginaire et invitent par des propositions artistiques à faire vivre autrement les lieux.
Plus vraie qu’une fiction
Grâce aux histoires de Tiziana De Biasio, d’Alessandro Tapinassi, de Francesco Iorio et de Dario Savetti, c’est tout un monde qui prend vie sur scène. Réalistes sur leur propre capacité à changer le monde, ils se livrent sans phare, s’amusent de leurs contradictions et confessent leurs erreurs. Ni héros, ni braves, ni méchants, ils sont des hommes et des femmes comme tout le monde. Ils jettent leurs mégots par terre, espérant qu’un autre les ramassera, mais bras levés, ils ont fait le choix, pour certains, de ne pas céder, et d’être un des derniers remparts à une logique économique sans âme et sans cœur.
Bien décidés à écrire un spectacle autour de l’ouvrage majeur de Karl Marx, ils sillonnent l’Italie, de grève en grève, pour sentir le pouls de la révolte ouvrière face au grand capital. En rejoignant les rangs des ouvriers, en s’installant à leur côté des mois durant, Enrico Baraldi et Nicola Borghesi plongent le spectateur au plus près de la lutte.
Sans jamais trahir le propos des protagonistes et en insufflant pas mal d’autodérision, ils signent avec Il Capitale. Un libre ancora non abbiamo letto une fresque humaine percutante et fascinante. Muscles, os, chair et sang palpitent sur scène et c’est debout, le bras levé contre toutes les formes d’oppression, que le public salue la performance. Ces ouvriers qui ne sont plus payés depuis 2024 ont parfois changé de vie, d’autres ont abandonné le combat, mais un grand nombre se bat encore !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
Il Capitale. Un libro ancora non abbiamo letto * du Collectif Kleper-452
Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 4 au 8 février 2025
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Durée 1h30 environ
texte et mise en scène d’Enrico Baraldi et Nicola Borghesi
avec Nicola Borghesi, Tiziana De Biasio, Alessandro Tapinassi, Francesco Iorio, Dario Salvetti – GKN Workers Factory Collective
scénographie et lumière de Vincent Longuemare
son d’Alberto Bebo Guidetti
vidéo et documentation de Chiara Caliò
conseils technico-scientifiques sur Le Capital de Karl Marx – Giovanni Zanotti
assistanat à la mise en scène – Roberta Gabriele
machiniste – Andrea Bovaia
régie lumière – Lorenzo Maugeri, régie son et vidéo – Francesco Vacca
responsable d’atelier et chef menuisier – Gioacchino Gramolini
décoration – Ludovica Sitti avec Sarah Menichini, Benedetta Monetti, Rebecca Zavattoni
décors et accessoires – atelier de l’ERT – Emilia Romagna Teatro
recherche iconographique et image affiche – Letizia Calori
Photographie de Luca Del Pia
* Le Capital. Un livre que nous n’avons pas encore lu