Le Procès de Jeanne
© Guy Delahaye

Le Procès de Jeanne : Un monologue virtuose

Aux Bouffes du Nord, Judith Chemla est renversante dans ce monologue autour du procès de Jeanne d’Arc. Six siècles plus tard, le texte, qui dit en creux le contrôle des hommes sur le corps des femmes, n’a rien perdu de son actualité.

Elle apparaît sur scène comme un spectre : cheveux ébouriffés et teint pâle, son « habit d’homme » éclairé par une faible lumière. Elle, c’est Jeanne d’Arc, grande figure de la guerre de Cent Ans régulièrement récupérée par l’extrême-droite contemporaine. Drôle de choix donc, à première vue, que celui du metteur en scène Yves Beaunesne et de la comédienne Judith Chemla, de se glisser dans les habits de la « pucelle d’Orléans ». Écrit à partir de véritables comptes rendus de justice, Le Procès de Jeanne retrace avec minutie les derniers mois de Jeanne d’Arc.

Le Procès de Jeanne - Judith Chemla - Yves Beaunesne © Guy Delahaye
© Guy Delahaye

Cette jeune femme âgée d’à peine 19 ans qui, guidée par des « voix » de saints qu’elle disait entendre, a pris les armes, déguisée en homme, pour chasser les Anglais hors de France. Si l’exploit lui a valu d’accéder à la postérité, il lui vaut aussi le courroux de l’Église, qui voit d’un mauvais œil cette illettrée qui prétend échanger directement avec Dieu.

Sur scène, Jeanne est seule et malmenée par les jours de captivités (Judith Chemla, formidable). La jeune femme donne la réplique à une dizaine d’ecclésiastiques, dans une joute oratoire d’une virtuosité surprenante. Les hommes d’Église, eux, ne sont pas présents sur scène. Filmés par le vidéaste Pierre Nouvel, leur ombre inquiétante et surplombante flotte à l’arrière du décor, deux mètres au-dessus de Jeanne. Ce brillant choix de scénographie signé Damien Caille-Perret révèle d’emblée la solitude de Jeanne face à cette horde d’hommes décidés à la piéger et à la condamner. Surtout, il place la jeune femme au centre et ses bourreaux en périphérie — une autre manière de rendre hommage.  

Dans des dialogues d’une grande violence, les ecclésiastiques questionnent la jeune femme sur sa foi. Quelles voix entend-elle ? Comment a-t-elle reconnu le roi ? Ils semblent obsédés par ses « habits d’homme » et menacent rapidement de la brûler si elle ne consent pas à porter des vêtements de femmes. Pourquoi une telle obsession ? Lorsqu’elle se vêt ainsi, Jeanne, jetée en prison, est agressée sexuellement par les autres prisonniers. Le choix qui lui est offert est le suivant : le viol, ou le bûcher. Féministe presque par accident, elle choisit les vêtements d’hommes.

Autre surprise du texte, l’insistance de ces « hommes d’Église » à souhaiter que la jeune femme reconnaisse leur autorité… plutôt que celle de Dieu lui-même. Leur volonté de contrôle sur le corps de Jeanne est si oppressante (dans un texte datant de 1431 !) qu’il devient presque difficile de ne pas en percevoir la puissante actualité.

Face à eux, Jeanne. La beauté de sa langue malgré l’illettrisme, son insolence et sa grande force de conviction ne cèdent jamais. C’est cette dignité qui lui vaudra le bûcher, et que révèle avec brio le spectacle. En fin de compte, Le Procès de Jeanne donne à voir une autre facette de l’icône du Moyen-Âge : celle qui ne s’est jamais laissé dicter les conditions de sa liberté.


Le procès de Jeanne, d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc -1431
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis Bd de la Chapelle
75010 Paris
Du 29 janvier au 16 février 2025
Durée 1h30


Conception Judith Chemla et Yves Beaunesne
Mise en scène d’Yves Beaunesne
Musique Camille Rocailleux
Livret Marion Bernède 
Avec Judith Chemla et les musiciens Mathieu Ben Hassen, Emma Gergely, Robinson Julien-Laferrière, Etienne Manchon, Marie Salvat et Hippolyte De Villèle


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