Pour arriver en train à Toulon-sur-Arroux, située au cœur du Charolais et aux portes du Morvan, il faut descendre au Creusot et ensuite traverser en voiture de magnifiques paysages. Après avoir déposé nos affaires dans un charmant gîte, nous voilà en route pour découvrir ce village de 1 600 habitants, sa jolie place et son charmant bistrot. Puis nous nous rendons, sous un froid de canard, au Moulin des Roches, lieu de création et de diffusion en milieu rural, géré par la Compagnie Cipango.
Les héritiers de Copeau et de la décentralisation
La compagnie est « née de la collaboration de plusieurs artistes qui ont à cœur de défendre l’égalité d’accès à la culture, et de réfléchir aux différentes fractures de notre société ». Étienne Durot et Julie Roux, deux enfants du pays, montés à Paris pour suivre les études du prestigieux Conservatoire National d’Art Dramatique la dirige. Leurs parcours respectifs, auprès de Gilles Bouillon, Nasser Djemaï, Lena Paugam, entre autres, les ont amenés à penser le théâtre autrement. Ils ont décidé de revenir à la source, pour y créer leurs spectacles et y développer diverses actions artistiques (résidences d’artistes, ateliers, festival de théâtre in situ…), dans le cadre du Contrat Local d’Éducation Artistique. Une mission telle que la décentralisation l’avait rêvée !
Cipango est le nom donné par Marco Polo à l’île du Japon. C’est une invitation au voyage et à l’ouverture. La marque de fabrique de la compagnie est le « partage de la culture et la culture du partage ». C’est bien ce que l’on ressent, accueillis par les membres du théâtre et les bénévoles qui les accompagnent dans ce magnifique petit écrin qu’est ce moulin, pour assister à la répétition générale de Gros-Câlin.
Un Gros-Câlin plein de jeunesse
Comme le chantait Bourvil, « vivre sans tendresse, on ne le pourrait » ! Monsieur Cousin a craqué, non pas pour un chat, mais pour un python qu’il a prénommé Gros-Câlin. Pour combler sa solitude, il y a mieux ! Pour justifier son choix, ce statisticien tente d’écrire un livre sérieux sur le python et la difficulté de nourrir la bête sans s’attacher aux souris. De digressions en délires, cet inadapté des sentiments lance un cri d’amour avant d’être étouffé par ses propres bras !
Ce superbe texte de Gary-Ajar est porté par l’interprétation tout en nuance d’Étienne Durot. Son visage lunaire et porteur d’enfance donne à ce personnage une fragilité singulière. La mise en scène de Julie Roux est à la hauteur de la poésie et de l’humour de Romain Gary. Tout se passe dans ce studio au design à la Claude Sautet, où la solitude suinte dans le mobilier et le papier peint. Quant au python, on vous laisse découvrir la métaphore choisie !
Retour au gîte pour un dîner avec toute l’équipe du Moulin des Roches et Monsieur le Maire, Bernard Labrosse. L’ancien directeur d’école, dont Étienne Durot a été l’élève, ne cache pas sa fierté du travail de la compagnie.
En immersion
Au petit matin, le givre a recouvert le paysage d’une belle couleur blanche… Après une traversée du département, nous arrivons à Chagny pour assister à une représentation en milieu scolaire de Quentin et Jérémie. Cette très belle pièce de Yeelem Jappain porte sur le harcèlement. Le principal du collège Louise Michel nous conduit à la salle de classe où le spectacle va être donné. Toute l’astuce de la mise en scène de l’autrice est de placer, derrière des tables de classe, les spectateurs, ici des élèves de 6e. Ils se retrouvent ainsi au cœur même du processus.
Quentin et Jérémie font leur rentrée au collège. La peur au ventre, ils vont tenter de se faire aimer de leurs nouveaux camarades. Ils se ressemblent et pourtant, l’un va devenir le bourreau de l’autre. Au bout de quelques mois, Jérémie comprend qu’il est allé trop loin et s’excuse auprès de sa victime. Si ici, à des fins pédagogiques, l’histoire se termine bien, on sait que ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Le dispositif scénique est remarquable. Deux tableaux noirs mobiles, dont chaque face représente la chambre ou la maison des enfants et l’école. Les deux gamins ont une place attitrée dans la salle. Vincent Chappet (en alternance avec Elie Triffault) et Aurélien Marquet (en alternance avec Étienne Durot) interprètent finement ces deux mômes que l’on peut croiser à chaque coin de rue ! Ils se glissent aussi avec aisance en prof principale, de sport et en parents. Des adultes dépassés par la situation. Après la représentation, les comédiens lancent les débats avec les élèves, très concernés.
Le théâtre du Chariot
Ce n’est pas pour rien que la Compagnie Cipango a choisi le théâtre du Chariot, un tout nouveau lieu parisien. En reprenant les locaux de la Comédie Nation, Alexandra d’Herouville, Sarah Horoks, Camille Claris, Alice de Lenquesaing, Martin Karmann, Victor Garreau et Elie Triffault, ont souhaité créer un théâtre différent à Paris. Un petit lieu par la taille, mais avec le désir d’aider la création émergente et d’accompagner les jeunes compagnies dans leur processus de création sans mettre en péril leur économie. Que l’on soit à Paris ou en Région, la jeunesse a pris en main l’avenir et l’espoir. Alors encourageons-les !
Marie-Céline Nivière – envoyée spéciale à Toulon-sur-Arnoux et Chagny
Compagnie Cipango
Le Moulins des Roches
71320 Toulon-sur-Arroux
Gros-Câlin de Romain Gary – Émile Ajar (édition Gallimard)
Théâtre du Chariot
77 rue de Montreuil
75011 Paris.
Du 23 janvier au 16 février 2025
Durée 1h05.
Adaptation et mise en scène Julie Roux.
Avec Étienne Durot.
Musique de Yann Pompidou.
Lumière de Thomas Rizzotti.
Scénographie d’Aurélie Lemaignen.
Quentin et Jérémie, texte et mise en scène de Yeelem Jappain
Théâtre du Chariot
77 rue de Montreuil
75011 Paris.
Du 17 au 21 février 2025
Durée 40 mn, suivi d’un débat
Avec Vincent Chappeten alternance avec Elie Triffault, Étienne Durot en alternance avec Aurélien Marquet
