Qu’est-ce que l’amour face au pouvoir ? Peu de chose, dirait Bérénice (Marine Gramond), Reine de Judée. Pour régner sur l’antique cité des Césars, son bel amant Titus (Jean-Christophe Folly) n’a d’autre choix que de séparer s’elle. C’est la loi ancestrale, aucun Romain, digne de ce nom, ne peut épouser une étrangère, même auréolée d’une couronne. L’union qu’ils convoitent tous deux ne peut avoir lieu. L’aimante doit partir coûte que coûte, peu importe ses larmes et son tourment.
Afin de pimenter ce drame où les élans de la passion n’ont que peu de poids face à la raison d’État, Racine invite un troisième protagoniste, Antiochus (Alexandre Gonin), Roi de Commagène, à la fête des cœurs brisés. Ce dernier, amoureux rejeté de l’une et ami fidèle de l’autre, complète promptement ce triangle amoureux, qui n’en est finalement pas vraiment un.
Point de feu, de la glace
Mille fois adaptée, cette tragédie historique en cinq actes, écrite en 1671, reste intemporelle. La passion étouffée des trois amants insuffle aux mots, aux vers, fougue et fièvre. En s’en emparant, Jean-René Lemoine, dont l’œuvre du dramaturge, comme il le confesse, sert en quelque sorte de matrice à ses propres pièces, choisit une épure de moyens et de gestes trop solennelle. Sur scène, une estrade mordorée rappelant les mosaïques des atriums des villas romaines sert d’unique décor. Véritable arène antédiluvienne de l’intime, elle voit se faire et surtout se défaire les passions.
Dans cet espace, Bérénice, Titus et Antiochus errent, vacillent, titubent et se ressaisissent dans un dernier geste de grandeur, réaffirmant leur rang face un monde insensible aux fêlures de leur âme. En les enfermant dans leur mythe, plus que dans des êtres de chair et de sang, Jean-René Lemoine fige sa mise en scène et n’offre aucune échappatoire aux comédiennes et aux comédiens. Ici peu de cris, ou à contre temps, comme pour conjurer le sort qui s’acharne, peu de larmes, juste des corps incapables d’exprimer leurs émotions. Trop ouatée, trop rigide, cette lecture de Bérénice, qu’on aurait tant souhaité aimer, connaissant le travail tout en dentelle de l’artiste d’origine haïtienne, semble dépassionnée, presque aseptisée.
La direction empesée des acteurs empêche la flamme que l’on sent poindre au plus profond de leurs corps de brûler et de dévaster à jamais leurs cœurs résignés. Seule Nicole Dogué, sublime en Phénice, la confidente de Bérénice, révèle toute l’humanité de son personnage. C’est malheureusement un peu mince… Dommage !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Douai
Bérénice de Jean Racine
spectacle créé le 14 janvier à la Maison de la Culture d’Amiens
Durée 2H00
Tournée
21 au 24 janvier 2025 au TANDEM Douai-Arras, Scène nationale
30 et 31 janvier 2025 au Phénix, Scène nationale de Valenciennes
4 au 6 février à la Comédie de Béthune
4 au 8 mars 2025 au Théâtre National de Bretagne, Rennes
2 et 3 avril 2025 au Quai, Centre dramatique national d’Angers
15 avril 2025 au Dôme Théâtre, Albertville
22 au 25 avril 2025 au Théâtre du Nord, CDN de Lille
13 et 14 mai au Foirail, Pau
Mise en scène Jean-René Lemoine assisté de David Duverseau
Avec Marine Gramond, Jean-Christophe Folly, Alexandre Gonin, Nicole Dogué , Jan Hammenecker, Marc Barbé & Jean-René Lemoine
Dramaturgie de Laure Bachelier-Mazon
Scénographie de Christophe Ouvrard
Lumières de François Menou
Son de Xavier Jacquot
Costumes de Clément Desoutter assisté de Lisa-Lou Barrier, Thelma Di Marco-Bourgeon & Lisa Renaud
Régie son d’Olivier Hoste, Régie plateau d’Olivier Sellier, Régie lumières d’Eliette Gibaud & Régie générale d’Antonin Mauduit
