Aujourd’hui, les impressionnistes sont connus dans le monde entier et leurs toiles se vendent à prix d’or. Pourtant, en cette fin de XIXe siècle, ce n’était pas gagné. Un journaliste de l’époque a même écrit : « Ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c’est Paul Durand-Ruel qui les achète ! » Ce visionnaire passionné et son épouse sont au cœur des Collectionnistes.
« Impressions » de théâtre
Toute l’action se passe dans le salon bourgeois des Durand-Ruel. De la fenêtre, on aperçoit les toits d’immeubles haussmanniens et le ciel de Paris. On a l’impression d’être dans une toile de Caillebotte. Des sensations, des ressentis et des impressions, il va y en avoir tout au long du spectacle. Christophe Lidon a soigné sa scénographie. Contre le canapé et le bureau, on aperçoit des toiles posées. Un chevalet vide trône. Au mur, au-dessus de la cheminée, un miroir dans lequel viendront se refléter les toiles posées sur le chevalet par les époux.
Ce travail visuel, conçu en grande intelligence avec les images vidéo de Léonard et les lumières de Moïses Hill, donne à ce spectacle des teintes somptueuses. Tout est minutieusement pensé et mis en place. Les costumes magnifiques de Jean-Daniel Vuillermoz et la musique de Cyril Giroux sont à souligner. Christophe Lidon nous plonge dans cette époque où le monde de la peinture et de la perception de l’art allait être bouleversé.
« Impressions » d’un monde qui bouge
François Barluet n’a pas écrit une pièce documentaire. C’est une fiction et sa dramaturgie fonctionne à merveille. L’action se passe en 1874. Ceux que l’on ne nomme pas encore les impressionnistes vont organiser leur première exposition. Dans la réalité, Jeanne, la femme de Paul Durand-Ruel est morte depuis trois ans. La ressusciter a permis à l’auteur de faire virevolter sa pièce en comédie et d’explorer des sujets passionnants. Comment modifier le regard sur la peinture ? Comprendre qu’elle n’est pas là pour reproduire à l’identique le monde, mais le sublimer. Car comme l’a dit Renoir, « l’arrivée de la photographie, c’est tant pis pour le peintre et tant mieux pour la peinture ».
« Impressions » de vie
Christophe Lidon a eu la bonne idée de réunir Christophe de Mareuil et Christelle Reboul pour incarner ce couple plein de vie et de passion. Il flotte un air à la Feydeau. Ici, le Fil à la patte de Monsieur, ce sont ces « barbouilleurs » qui vont finir par le ruiner. Même si elle ne comprend pas cet engouement pour ses toiles trop « abstraites », cela ne l’empêche pas de le soutenir. Mais à sa façon ! Avec sa belle palette de jeu, Christophe de Mareuil est impressionnant. Toujours aussi délicieuse et subtile, maîtrisant les ruptures et possédant une vis comica naturelle, Christelle Reboul rayonne.
Pour faire confronter son texte à l’air du temps, l’auteur a ajouté deux personnages et pas des moindres. Le premier est le débonnaire Armand Lagrange, interprété avec une très belle adresse par Frédéric Imberty. Ce critique du journal Le Constitutionnel représente les farouches adversaires. Pourtant, l’homme n’est pas insensible aux charmes des nues de Renoir. Ce n’est pas pour rien que ce dernier, sensible Victor Bourigault, a été choisi par l’auteur pour représenter ces précurseurs. On oublie trop souvent la place que ce grand artiste a occupée au sein de ce mouvement artistique qui bouleversa les beaux-arts.
Ce spectacle est de toute beauté. Il fallait au moins cela pour rendre hommage à un homme de goût, à l’art tout simplement.
Marie-Céline Nivière
Les Collectionnistes de François Barluet
Théâtre Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
Du 15 janvier au 4 mai 2025
Durée 1h20
Mise en scène et scénographie Christophe Lidon
Avec Christelle Reboul, Christophe de Mareuil, Frédéric Imberty et Victor Bourigault
Vidéo de Léonard
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Moïse Hill
Musique de Cyril Giroux
Assistante à la mise en scène Mia Koumpan