Les mots doux, crus, les belles paroles enflammées, de l’amour contrarié d’Apollinaire pour l’impétueuse et frivole Louise de Coligny-Chatillon, résonnent et dégoulinent. Ils masquent une autre réalité, l’horreur de la guerre, la dure vie des tranchées. Préférant souligner la passion brûlante à l’intérêt documentaire de ces lettres, Christian Pageault achoppe à en donner une lecture vibrante, captivante.
Silhouette gracile de blanc vêtue, la belle Lou (intense Moana Ferré) se gargarise des lettres passionnées que lui a envoyées Guillaume Apollinaire. Bien que leur amour ne fût guère plus long, plus vif qu’un feu de paille, les mots dessinent les sentiments troublés, ardents du poète pour la libérée amazone. Rêvant de la possédée encore et encore, il dépeint par le menu ses envies, ses souhaits, ses fantasmes.
Derrière les rêves brûlants de l’artiste, la réalité rattrape l’homme parti à la guerre par dépit. Déçu par les réactions de sa dulcinée, il fantasme leur histoire qui a bien du mal à faire oublier la vie sombre des casernes, puis celle atroce des tranchées. Et c’est d’ailleurs dans cette description lucide, amère, réaliste du quotidien des soldats que les lettres d’Apollinaire captivent et saisissent d’effroi. La peur de la mort, les solitudes nocturnes, hantent ces êtres, ces appelés, ces volontaires confrontés à l’horreur d’une bataille sanglante qui n’en finit pas et joue sur leurs nerfs.
Si les lettres à Lou constituent une œuvre intime de Guillaume Apollinaire, elles n’ont d’autre intérêt littéraire que de nous plonger dans les pensées d’un homme qui s’accroche à un amour vacillant pour oublier la tragédie humaine qui le mine, l’assaille. En se perdant dans des déclarations enflammées à cette belle amante peu farouche et fort enfantine, le poète se tient à distance de cette folie qui gagne les rangs des soldats. En ne s’intéressant qu’à la vision idyllique de cette courte passion, Christian Pageault passe à côté du texte et n’en délivre qu’une version tronquée, qui a bien du mal à captiver.
Bien que la violence barbare de la guerre, où les hommes s’embourbent dans un mélange mortifère de sang et de boue, semble être évoquée par la fresque esquissée par la comédienne au fil de ses lectures, la mise en scène laisse à distance et a bien du mal à convaincre.
De cette amour, ne reste que la jolie interprétation de Moana Ferré, qui campe une Lou primesautière, qui se délecte avec gourmandise des mots du poète, à défaut de l’émouvoir.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Mon Lou, texte de Guillaume Apollinaire
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
jusqu’au 23 juin 2018
du mardi au samedi à 19h
Durée 1h10
mise en scène de Christian Pageault assisté de Claire Ballot-Spinoza
avec Moana Ferré
composition musicale de Jean-Michel Trimaille
scénographie d’Isabelle Jobard
création lumières de Rodolphe Martin
costumes de Judith Cortial
Crédit photos © Isabelle Jobard.