Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai eu la chance d’être dans une école primaire publique pilote qui enseignait la musique six heures par semaine. Mon tout premier souvenir est lié à ce concert de musique que j’ai donné à cinq ans avec ma classe de CP au théâtre Sébastopol de Lille. On jouait Dans les steppes de l’Asie centrale de Borodine. C’est gravé à vie.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
La chance incroyable d’avoir fait très jeune de la danse (École Claire Crasto de Lille) et de la musique à haute dose à l’école primaire Édouard Lalo. J’ai très rapidement vu combien la pratique d’une discipline artistique effaçait toutes les médiocrités de la vie et les différences sociales, quelle que soit notre provenance. Je voulais être chef d’orchestre. Si prochaine vie il y a, je ferai tout pour !
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
L’éblouissement des textes du répertoire grâce à l’enseignement prodigieux, drôle et si brillant de Jean-Laurent Cochet. Je préparais à l’époque Normale Sup dans un de ces lycées prestigieux de la capitale et je trouvais que les meilleurs cours de littérature appliquée étaient ceux de Jean-Laurent. Tout devenait limpide, vivant, incarné. J’avais l’impression de partager le souffle de tous ces grands esprits, de respirer à leur hauteur comme le dit si bien le vieux roi Ferrante.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Mon tout premier contrat fut celui de jouer L’infante de La reine morte de Montherlant mis en scène par Jean-Laurent Cochet pour le festival d’Anjou. J’ai remplacé au pied levé Marie Trintignant qui avait été distribué au départ. Une semaine plus tard, je me suis retrouvée catapultée en plein air dans le cadre magique du Cloître du Ronceray. À la belle étoile ! Un de ces moments de la vie où la poésie épouse le réel. J’ai su dès lors que rien ne serait plus jamais pareil et que le théâtre serait ma maison.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La pièce Salomé mise en scène par Steven Berkoff en 1992 au Theater Royal Nottingham. Un fil tendu entre le sacré et le païen, une chorégraphie épurée du geste, une densité charnelle du texte, un envoûtement musical.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
C’est la joie de ce métier les rencontres. Quand soudainement les passions s’accordent et les regards se fondent, le plateau devient le lieu de toutes les consolations. La grande rencontre, je le répète encore une fois, a été Jean-Laurent Cochet, car je lui dois tout. Vraiment. Steven Berkoff a déclenché mon désir de créer des spectacles, de passer à la mise en scène.
Je ne peux pas citer tous les artistes que j’aime et avec qui j’ai eu la chance de travailler. Alors, je parlerai juste de ceux qui m’occupent le cœur en ce moment. Mon ami Jean-Philippe Daguerre avec sa dernière création Du charbon dans les veines et bien sûr tous les copains de la troupe… Pour moi, cette aventure est un immense rendez-vous affectif, car elle met en lumière le petit monde de mes grands-parents, celui des mineurs du Nord. J’attendais depuis très longtemps l’occasion de leur rendre hommage, de leur redonner la parole. En entrant sur scène je refais vivre toute mon enfance. Avec Jean-Philippe, on a rêvé ensemble de ce spectacle et ça y est ! Le voilà ! Il vient vous rencontrer.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’ai le luxe de croire que je n’ai pas de métier, mais plutôt un joli tas de passerelles à ma disposition qui me permettent de tout expérimenter et d’avoir donc le plus parfait des équilibres puisqu’il tend vers l’infini.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’intelligence au service de l’humour.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
De l’organique sacré. Je rentre à la maison, dans mon temple secret, en arrivant sur un plateau.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Partout où la peau peut vibrer.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
La liste serait bien longue, car le talent des autres est une de mes plus grandes réjouissances. Alors, sans aucun ordre de préférence, j’en citerai quelques-uns que je ne connais pas personnellement : Agnès Jaoui, Brian Cox, Judi Dench, Emmanuelle Bercot, Jérôme Kirscher, Simon Abkarian, Doria Tillier, Roman Frayssinet…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Jouer une version de Lucrèce Borgia en anglais avec les acteurs de la Royal Shakespeare Company sur la scène du Globe avec mon ami Jean-Pierre Bouvier en Don Alphonse.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Elle serait musicale. Romantique. Passionnée. Peut-être le concerto n° 2 de Chopin joué par Martha Argerich, ma pianiste préférée.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Du Charbon et des veines, texte et mise en scène de Jean-Philippe Daguerre
Théâtre Saint-Georges
51 rue Saint-Georges
75009 Paris
Du 16 janvier au 26 avril 2025
Durée 1h20