Brouillon, caricatural, poussif, Patatas fritas falsas est un spectacle qui ne manque pas de qualités. À la manière d’un cabaret, Agnés Mateus et Quim Tarrida imaginent une série de tableaux où le pouvoir fasciste est tantôt tourné en dérision, tantôt présenté comme une tentation en chacun.
La tentation fasciste
Aujourd’hui, la dédiabolisation du RN, parti fondé par des Waffen-SS et des pétainistes, semble arrivée à son terme, et ce, sans que les hommages à son leader historique, Jean-Marie Le Pen, condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale, connu pour ses propos négationnistes et homophobes, ne ternissent le tableau. En Espagne, où le parti d’extrême Vox présente lui-même des succès électoraux considérables, le fascisme s’offre là aussi une nouvelle jeunesse.
Près de cinquante ans après la mort de Franco, Agnés Mateus et Quim Tarrida dressent un bilan peu glorieux de la mémoire du fascisme. Amnisties, tolérance pour des symboles franquistes, réécritures de l’histoire à mesure que les anciens combattants de la guerre civile disparaissent… La situation parait là aussi dramatique.
Le spectacle s’ouvre sur quarante ans de régime dictatorial. D’un bout à l’autre du plateau, le drapeau franquiste flotte pendant de longues minutes, comme pour incarner par une série de bruits sourds et de flashs lumineux les affres et gloires d’un gouvernement indéboulonnable. Et dès ses premiers mots, Agnés Mateus annonce la couleur et prouve que le duo n’a rien perdu de son mordant : être fasciste, c’est facile.
Obéir par confort, désobéir par nécessité
Sur une techno joyeusement datée, Agnés Mateus déblatère une série de raisons pour lesquelles on peut choisir le fascisme. Le confort de suivre les règles, de se replier sur soi, son pays, son foyer, avoir un modèle de vie clair, unique, pré-établi… À mesure qu’il s’esquisse, le portrait tourne à la paranoïa. Si le discours fasciste tente d’amenuiser les complexités du réel, c’est en vain. Et à mesure que le malaise monte, les luminaires se décrochent et se fracassent à ses pieds. La séquence est longue, portée en force, tant et si bien que très vite, il est impossible à Agnés Mateus de surenchérir.
C’est dans le tableau suivant que la comédienne révèle toutes les nuances de son jeu. Agent de sécurité ventriloque d’un (petit) Franco bien remonté, elle donne à voir l’ivresse du pouvoir, sa misogynie crasse, son obsession pour le « nazi-onal ». On devine une forme de relâchement dans les rires qui fusent à travers la salle. Mais c’est sans doute en la parcourant ensuite, et en faisant ainsi sauter le quatrième mur, que la comédienne donne plus de force à son projet : questionner nos propres tentations autoritaires.
Oiseau de mauvais augure
À quoi bon sermonner une salle qui s’est déplacée pour un spectacle engagé contre le fascisme ? C’est justement en ayant conscience de la sociologie de leur public que le duo catalan pense le tableau suivant. Vêtue d’un costume d’oiseau, Agnés Mateus parcourt les rangs et distribue des billets (conditionnellement). Par cette séquence de corruption, c’est toute la question des privilèges sociaux et de leur conservation qui s’esquisse. Le rire se fait plus jaune.
Difficile pourtant de dire que le public a été mis en porte-à-faux. Si la menace d’un pouvoir fasciste se rappelle au détour d’une émission télévisée, d’une agression, il semble cependant que son impunité trouve ses germes en chacun de nous.
Alors que les livres comme Pop Fascisme montrent combien l’extrême-droite a recyclé ses idées rances sur de nouveaux supports, le spectacle paraît parfois un peu daté, surtout qu’il n’y est question ni de fémonationalisme, ni d’homonationalisme, processus de récupérations de luttes progressistes pour servir un agenda xénophobe. Aujourd’hui, des femmes lesbiennes dirigent les partis d’extrême droite italiens et allemands, Patatas Fritas Falsas appelle déjà d’autres réflexions en complément. À l’heure où les fascistes fantasment sur des polémiques montées de toute pièce, comme l’explique Margot Mahoudeau dans La Panique Woke, la droitisation des esprits semble générale. Ce sont peut-être ces sujets, encore peu investis dans les théâtres, qui pourront pousser chacun à questionner ses propres réflexes réactionnaires.
Mathis Grosos
Patatas fritas falsas d’Agnés Mateus et Quim Tarrida
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 10 au 16 janvier 2025
durée 1h30
Mise en scène d’Agnés Mateus et Quim Tarrida assistés de Marta Gon
Avec Agnés Mateus
Scénographie, son et vidéo de Quim Tarrida
Création lumière de Quim Tarrida et Laura Morin
Régie générale et régie lumière – Laura Morin
Céramique Anna Benet
Costumes de Teresa Melgosa
Traduction et sous-titres – Marion Cousin