Qui sont ces Essentielles ? Des « sans dents »qui, dans des cadences infernales, s’usent pour un salaire de misère en reproduisant des gestes mécaniques ? Celles et ceux qui pour satisfaire aux demandes du patronat et des consommateurs doivent toujours produire plus et n’importe comment ? Quand l’une de ces essentielles est retrouvée morte, suspendue la tête en bas, telle une vache, la révolte gronde.
Entre naturalisme et onirisme
La grève qui se met en place n’a pas de meneur. Ce qui n’empêche en rien les employés de parler d’une même voix. C’est-à-dire en ventriloquie. Ainsi, personne ne craint de se faire virer par le patron. Ce dernier est d’ailleurs totalement absent. Il vit à l’étranger et gère de loin cette entreprise qu’il possède parmi tant d’autres. Il n’est plus un patron, mais un « possesseur » de bien. C’est à la directrice (ahurissante Armande Sanseverino) de se débrouiller ! Dehors, les vaches arrivent à l’abattoir pour connaître un instant de répit et brouter le bitume. Dedans, on s’organise dans un beau foutoir qui va permettre à chacun de pouvoir ranger sa vie !
Ce spectacle fourmille d’excellentes idées pour aborder le monde du travail, la surconsommation, l’industrie alimentaire, la solitude, la pauvreté, la précarité… Les employés sont très délicatement campés. Il y a la défunte, ce fantôme qui se transforme en génisse (formidable Estelle Borel), la jeune fille aux rêves évanouis dans la réalité (délicate Caroline Menon-Bertheux), la femme usée (bouleversante Odja Llorca), le paysan déclassé (émouvant Martin Van Eeckhoudt) et l’exclu de la société (épatant Alexandre Pallu). Faustine Noguès joue sur la langue et les styles. Si les ouvrières et ouvriers utilisent la même langue que nous, la directrice emploie une sorte de novlangue lorsqu’elle s’adresse à eux et un langage presque religieux lorsqu’elle s’adresse au propriétaire.
Une sacrée aire de jeu
La scénographie impressionnante d’Hervé Cherblanc est basée sur cette architecture froide et complexe de l’abattoir. Des lignes blanches que casse le rouge des carcasses des bovins, (œuvres admirables de Sylvain Wavrant) qui font songer à une toile de Francis Bacon. L’ambiance sonore conçue par la musicienne Colombine Jacquemont est remarquable. À noter, parce que rarement sollicité au théâtre, il va vous falloir ouvrir votre sens de l’odorat ! Rassurez-vous, rien de désagréable ne viendra titiller vos narines.
Pour son troisième spectacle, après Surprise parti et Moi c’est Talia, Faustine Noguès a vu grand. Si par moments l’on s’égare un peu, l’originalité du propos et le foisonnement de sa créativité artistique font de ce spectacle une sorte d’ovni théâtral marquant.
Marie-Céline Nivière
Les Essentielles, texte et mise en scène de Faustine Noguès
Théâtre de la Cité Internationale
21 A boulevard Jourdan
75014 Paris
Du 5 au 16 décembre 2024
Durée 1h40
Tournée 2024-2025
19 et 20 décembre 2024au Théâtre Dijon Bourgogne – CDN en partenariat avec l’ABC Dijon
28 mars 2025au Théâtre André Malraux à Chevilly Larue
3 et 4 avril 2025 à l’EMC, Saint-Michel-sur-Orge
10 avril 2025 au Théâtre Jacques Carat à Cachan
15 et 16 avril 2025 au Théâtre de Château Rouge à Annemasse
Avec Estelle Borel, Odja Llorca, Caroline Menon-Bertheux, Faustine Noguès, Alexandre Pallu, Armande Sanseverino, Martin Van Eeckhoudt et la participation de Daniel Ragussis
Collaboration à la mise en scène / corps et mouvements Rafael de Paula
Assistanat à la mise en scène Casseline Gilet
Création plastique Sylvain Wavrant
Scénographie d’Hervé Cherblanc
Création sonore de Colombine Jacquemont
Décor construit par Scenopolis
Lumières de Zoé Dada, Eliah Ramon
Costumes Estelle Boul
Régie plateau et générale Lisalou Eyssautier
Création du dispositif olfactif Simon Rutten
Texte publié aux Éditions l’Œil du Prince