Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer à l’écriture ?
Padrig Vion : Je suis d’abord comédien. J’ai été formé au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique. Au fil des années, ce n’est pas tant une l’envie d’écrire des pièces qui m’est venue, mais plutôt d’écrire pour des interprètes. Les deux spectacles que je présente à Théâtre Ouvert, sont nominatifs. Je les ai pensés pour les acteurs qui les portent au plateau.
Les deux pièces évoquent des moments de bascule, de rupture, que ce soit en amour ou en amitié…
Padrig Vion : Quand j’ai commencé à écrire, c’était le début du confinement. Cette thématique faisait écho à quelque chose que je traversais. Je pense que j’avais besoin de prendre la parole et de m’exprimer sur ce sujet. Et puis il y avait certainement aussi une question de légitimité. Je ne suis pas parisien. J’ai grandi loin de la capitale dans un milieu qui n’a rien de bourgeois. Assez vite, en m’installant pour mes études à Paris, j’ai été confronté à cette classe que je fantasmais et qui est différente, en partie tout du moins, à ce que j’imaginais. Il y avait un désir d’évoquer cette différence.
Dans Drame bourgeois, vous imaginez une histoire d’amour totalement fantasmée, née d’un regard entre deux êtres ?
Padrig Vion : Absolument. Le récit est construit en plusieurs strates. Il y a d’abord – comme je viens de l’évoquer – ce que j’imaginais de la bourgeoisie et le décalage entre l’image que j’en avais et la réalité. Clairement, cette question du fantasme est sous-jacente dans le texte. Ensuite, dans la rencontre amoureuse, ce qui m’intéressait, était de jouer sur la notion de vérité. Cette femme et cet homme se croisent, vont échanger un simple regard, et ne vont jamais se parler. Ils sont tous les deux au plateau, mais comme dans deux mondes parallèles. Et pourtant, il existe entre eux une sorte de connexion et quelque part dans leur inconscient, ils sont confrontés à leur altérité. Je trouvais intéressant justement de jeter le trouble et le doute chez le spectateur. Est-ce que ce qui se passe sur scène a lieu ? C’est toute la question du théâtre que pose Shakespeare. Et c’est vraiment à cet endroit que j’avais envie de travailler .
Quand vous dites que vous écrivez pour des personnes en particulier, est-ce que vous vous nourrissez de leurs histoires ?
Padrig Vion : Plus exactement, je parlerais de projection parce que je n’ai pas envie de faire des textes traumatiques. Je pars de ce que je connais d’eux, mais je ne travaille pas avec eux. L’idée n’est absolument de les mettre face à leur vérité, mais plutôt à partir d’une esquisse que j’ai d’eux, je construis d’autres personnages, d’autres récits que les leurs. C’est comme une partition. J’ai une base et je développe. Ce qui m’intéresse aussi, parce que je les connais, je sais sur quel terrain j’ai envie des les emmener, un endroit de dissonance où le jeu prend toute sa place. Louis Battistelli et Lomane de Dietrich, par exemple, qui sont dans Drame bourgeois, étaient dans ma promo au CNSAD. Je les ai souvent vu jouer, je les ai observés dans la vie. Je savais parfaitement où je voulais aller avec eux.
Les deux textes que vous présentez ont été écrits en parallèle ?
Padrig Vion : N’étant pas auteur, rien n’était vraiment prémédité. C’est l’occasion qui a fait que ces deux projets existent. En première année du Conservatoire, j’ai eu l’idée d’écrire une capsule pour tenter, pour tester. Il n’y avait pas de prétention littéraire, juste l’idée de se confronter au plateau. Peu de temps après, une comédienne m’a demandé de lui écrire un texte. C’est un peu comme un effet boule de neige.
Puis, j’ai été fasciné pat le tandem très 6e arrondissement de Paris que forme Louis et Lomane. Le covid a tout chamboulé. Seul chez moi, j’ai eu l’idée d’écrire sur eux. C’est ainsi qu’est né Drame bourgeois, un pavé de 2h45. Grégory Gabriel, le directeur des études du CNSAD a trouvé la démarche intéressante et a envoyé un exemplaire à Théâtre Ouvert. Ils m’ont dit qu’ils seraient intéressés par une forme plus réduite. Ils m’ont ensuite demandé s’il y avait une suite.
Je me suis pris au jeu de l’écriture. J’avais envie de poursuivre ce travail autour de Lomane mais en m’intéressant à un autre type de relation autant traumatique, l’amitié. C’est cette réflexion qui est au coeur de Murmures. Le prochain qui est en préparation concernera la famille.
Comment êtes-vous passé du papier au plateau ?
Padrig Vion : En écrivant, j’avais déjà une vision très claire de ce que je voulais. Les intuitions étaient déjà très fortes. Pour Drame bourgeois, il y avait cette évidence d’un plein feu et d’un plateau vide. Malgré tout, j’ai embauché une équipe technique pour ciseler le spectacle. Nous avons essayé plein de choses. Finalement, la seule chose qui fonctionne est le plein feu et le plateau vide. Je vais reparler de projection et d’intuition, mais c’est ce qui marche pour moi. Comme pour le métier d’acteur, c’est par instinct que j’ai choisi cette branche. Je le sentais au fond de moi que c’était ce qui me conviendrait.
J’évoquais toute à l’heure une partition. Quand j’écris et mets en scène, j’ai la voix des comédiens, leur timbre. Ils sont les instruments, je les mets en musique. Ensuite, c’est le plateau qui vient confirmer mon premier mouvement ou le contredire.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Drame bourgeois de Padrig Vion
du 2 au 14 décembre 2024
Théâtre Ouvert
159 Avenue Gambetta
75020 Paris
durée 1h15
Mise en scène de Padrig Vion
Avec Louis Battistelli & Lomane de Dietrich
Collaboration artistique – Lolita de Villers
Regard extérieur – Guillaume Morel
Création lumières de Thomas Cany
Création sonore de Foucault de Molet
Murmures de Padrig Vion
du 2 au 14 décembre 2024
Théâtre Ouvert
159 Avenue Gambetta
75020 Paris
durée 1h15
mise en scène de Padrig Vion
Avec Mélodie Adda & Lomane de Dietrich
Collaboration artistique – Lolita de Villers
Regard extérieur – Guillaume Morel
Création lumières de Thomas Cany
Création sonore de Foucault de Molet
Construction de Sara Renaud