Deux êtres s’affrontent et se confrontent. L’un est metteur en scène, l’autre auteur. L’un rêve de faire des Coupes sombres dans des dialogues abscons, trop bavards, l’autre tient à l’intégralité de son texte dont chaque mot a été pesé. En ironisant sur les egos des artistes, Guy Zilberstein signe une comédie satirique, humaine que la mise en scène élégante d’Anne Kessler souligne habilement.
Sur une scène quasi-vide, un jeune homme en débardeur (ténébreux Pierre Hancisse), muscles des bras bandés, fait une bien étrange apparition. C’est un bûcheron. Regard perçant, gestes précis venant accompagnés ses propos, il explique le plus pédagogiquement possibles les différentes techniques qui font l’essence de son métier. Très vite, les explications passées, il disparaît dans la pénombre et laisse place à un couple en pleine discussion. Elle (lumineuse Anne Kessler) est metteuse en scène, lui (épatant Serge Bagdassarian) est dramaturge.
En pleine création de la dernière œuvre fleuve de cet auteur en vogue, légèrement névrotique, une réunion s’impose entre les deux artisans celui des mots, celui de la mise en espace, afin de tenter de fluidifier l’ensemble, de raboter quelques phrases de-ci de-là, au mieux incongrues, aux pires incompréhensibles. Loin d’être aussi simple, afin de ménager les susceptibilités de chacun, l’habile metteuse en scène tente par la douceur de faire comprendre qu’en l’état, trop de contraintes techniques, ferroviaires, artistiques, empêchent de donner la pièce dans son intégralité (5h30).
Rapidement, la discussion s’envenime, chacun campant sur ses positions, tentant à coup de périphrases, d’entourloupes intellectuelles de gagner l’autre à sa cause. Avec beaucoup de finesse, Guy Zilberstein signe des dialogues savoureux, des répliques particulièrement ciselées, voire poétiques, un jeu de ping-pong cérébral des plus exquis. S’appuyant sur la plume vive, fine de l’auteur, Anne Kessler s’amuse de cette tambouille artistique particulièrement délectable. S’inspirant de ses propres expériences, brocardant avec beaucoup de malice et d’autodérision les travers de ses contemporains, elle souligne par sa mise en scène sobre, élégante, une satire désopilante de l’intelligentsia théâtreuse.
Sourire aux lèvres, zygomatiques en action, on se laisse totalement charmer par cette comédie intelligente, légère et lucide, d’autant qu’elle est portée par un trio d’acteurs particulièrement talentueux. En intrus saugrenu, Pierre Hancisse irradie la scène de sa présence singulière. En dramaturge irascible et névrosé, Serge Bgadassarian est magistral, désopilant et retors. Enfin, en frêle metteuse en scène, un brin perchée, Anne Kessler est éblouissante, terriblement drôle. Un bien joli moment de théâtre, une jolie gourmandise légèrement acidulée à déguster avec grand plaisir.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Coupes Sombres de Guy Zilberstein
Théâtre du Rond-Point – salle Jean Tardieu
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 15 avril 2018
du mardi au dimanche à18h30 – relâche les lundis, les 18 et 20 mars, les 1er, 3 et 4 avril
durée : 1h
Mise en scène et interprétation : Anne Kessler de la Comédie-Française
Et avec : Serge Bagdassarian de la Comédie-Française et Pierre Hancisse
Lumière : Arnaud Jung
Crédit photos Giovanni Cittadini Cesi / crédit illustration Stéphane Trapier