Pourquoi monter cette pièce de Marivaux ?
Alain Françon : C’est une envie de longue date. Déjà, avant de mettre en scène La Seconde Surprise de l’amour, mon premier souhait était de porter au plateau Les Fausses Confidences. Quand j’avais évoqué mon désir à Stéphane Braunschweig, il m’avait dit d’attendre. Luc Bondy l’avait présenté à l’Odéon-Théâtre de l’Europe peut de temps avant. Il trouvait que c’était trop proche. J’ai donc choisi une autre pièce de Marivaux et j’ai gardé ce projet sous le coude.
Qu’est-ce qui vous plait tant dans cette pièce ?
Alain Françon : C’est la dernière pièce en trois actes qu’il a écrite, c’est aussi sa plus complexe. Ce qui la rend différente, c’est le fait qu’il l’ait écrite juste après deux romans, La vie de Marianne et Le Paysan parvenu. Elle possède un souffle romanesque indéniable. Contrairement aux autres pièces, l’un des personnages surpris par l’amour, l’était déjà lorsque l’action commence. Dorante est tombé amoureux d’Araminte en la voyant descendre les marches de l’Opéra, comme le conte le valet Dubois. C’est ce dernier d’ailleurs qui va imaginer l’ingénieux stratagème pour que l’amour soit réciproque.
Par ailleurs, au-delà de ce changement, il y a une modification structurelle dans le déroulé de la pièce. Et cela change beaucoup de choses quant à la tonalité de la comédie. Normalement, il y a d’un côté, la romance des deux amoureux, et de l’autres, celle des domestiques. Bien sûr, il vont plus vite, leur langage est plus direct. Ils règlent rapidement les sentiments pour ensuite aider leurs maîtres. Là, il n’y a pas ce parallèle. C’est comme si tous les protagonistes de l’entreprise Marivaux s’étaient un peu déplacés.
L’idée du travestissement, si chère à Marivaux, est ailleurs….
Alain Françon : Ici, il n’est pas question de valet qui se déguise en maître et inversement. C’est plutôt celle d’un homme de la petite bourgeoisie qui se déclasse pour séduire celle qu’il aime. Il entre dans la domesticité de cette dernière pour être au plus près de l’objet de sa passion. C’est d’ailleurs assez difficile de rendre au plateau, ce changement de caste. J’y attache beaucoup d’importance car c’est pour moi le sel de cette pièce de Marivaux.
Qu’est ce qui vous plait chez Marivaux ?
Alain Françon : Je crois que c’est sa langue, qui est à la fois d’une abstraction totale et d’un concret profond. Il est maître en stratégie amoureuse. Ses scénarios sont implacables. L’amour est partout dans les titres, bien sûr, mais aussi dans les moindres mots et actions de ses personnages. D’ailleurs, il y a un essai du philosophe Claude Romano qui m’a énormément éclairé sur l’œuvre de Marivaux. Dans Être soi-même: Une autre histoire de la philosophie, entre Aristote et Descartes, il consacre un chapitre à l’auteur du Jeu de l’amour et du hasard, où il explique que l’amour chez lui est l’opérateur pour se connaître soi-même et connaître l’autre. C’est très beau et surtout très juste.
Comment fait-on pour faire que cette langue justement ne soit pas datée ?
Alain Françon : La rythmique. Elle est essentielle chez Marivaux. Une fois que le travail sur la signification du texte est fait, il faut avec les comédiennes et les comédiens s’attacher à la rythmique de l’écriture. C’est ce qui est le plus difficile, mais aussi ce qui donne à cette langue toute sa force. Maldini disait d’ailleurs qu’il suffit de chercher le rythme d’un texte pour ne pas le trouver. Avec les acteurs et actrices, il faut faire une profonde analyse du texte, chercher les groupes rythmiques et les définir. C’est très complexe, il en existe des binaires, des ternaires, etc. Souvent quand les gens montent Marivaux, ils appuient sur le sens et donc sur l’intentionnalité. Malheureusement, cela mène tout de suite au cliché. Alors qu’il faut se laisser porter par la cadence. Marivaux disait lui-même qu’il faut jouer ses textes « emporté ». C’est-à-dire emporté par le flux de paroles. Pour lui, c’était le gage pour les acteurs d’être authentiques. Il ne faut pas calculer ce que l’on dit, car les répliques telles qu’il les a pensées sont immédiates et réactives.
Comment avez- vous travaillé avec vos acteurs, qui pour la plupart sont des fidèles ?
Alain Françon : Mon idée première était de garder le couple des amoureux de La Seconde Surprise de l’amour. Je trouvais intéressant cette continuité. Après, pour des raisons de calendrier, j’ai dû pour les autres rôles prendre d’autres comédiens. Ce qui me paraissait important c’était de travailler avec des acteurs de générations différentes. J’ai donc tout suite pensé à Dominique Valadié pour la mère, à Gilles Privat pour Dubois. Je trouvais ce mélange assez beau à composer et comme ce sont des gens que je connais bien pour avoir déjà travaillé avec eux, c’était comme une évidence. Cela a aussi beaucoup simplifié le travail préparatoire. Sur la rythmique, notamment, tout s’est concrétisé très vite, ce qui a permis d’expérimenter plein d’endroits différents au plateau.
Vous êtes un des rares artistes à passer assez facilement du public au privé…
Alain Françon : Je suis avant tout un enfant du théâtre public. J’y tiens absolument. Quelque soit l’endroit où je joue mes pièces, je fais très attention aux conditions dans lesquelles on nous permet de travailler. C’est une chance de faire un spectacle (Les Fausses Confidences) co-produit par le théâtre des Célestins à Lyon, le Théâtre Montansier de Versailles, le Théâtre de Carouge où il a été créé et de pouvoir jouer à Nanterre grâce à Christophe Rauck avec qui nous collaborons depuis son passage à Saint Denis, belle fidélité, et de pouvoir continuer à le jouer au Théâtre de la Porte Saint-Martin avec La Seconde Surprise de l’amour en fin de saison.
Vous êtes un fidèle de la Porte-Saint-Martin ?
Alain Françon : Jean Robert-Charrier est à l’écoute. Lors d’une discussion, nous avions évoqué ensemble, il y a de cela trois ou quatre ans, un texte de Claude Simon, la seule pièce qu’il ait écrite. Elle est d’ailleurs inspirée de l’un de ses romans, L’Herbe. C’est une œuvre dense, puissante, certaines répliques font deux pages et demie. Il m’a proposé de la monter pour le nouveau lieu parisien dont il vient d’être nommé directeur artistique, Les Bouffes parisiens. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il prend un risque, qu’il essaie des choses, de sortir de l’étiquette du privé. Il s’amuse un peu avec toutes les contradictions et les paradoxes, et quand on voit ses dernières saisons, il a eu raison.
Vous avez l’exigence en commun…
Alain Françon : Certainement. C’est très important dans nos métiers. Pour Les Fausses confidences par exemple, je me rends compte que depuis qu’on joue, à une représentation près, je les aurais toutes vues. À chaque fois, on règle des détails, car au bout d’un moment, il y a des choses qui apparaissent. Et avec Marivaux, c’est vertigineux. Parfois on se demande si on a fait le bon choix. Le fait d’avoir pu commencer par une série au Théâtre Carouge cela nous a permis de circuler dans le texte et aller en profondeur et en précision. C’est rare et précieux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Fausses Confidences de Marivaux
spectacle crée le 24 septembre 2024 au Théâtre de Carouge
Durée 1h40 environ
Tournée
23 novembre au 21 décembre 2024 au théâtre Nanterre Amandiers
8 au 10 janvier 2025 à l’Empreinte Scène nationale Brive-Tulle
15 et 16 janvier 2025 à la Scène nationale d’Albi-Tarn
5 au 8 février 2025 au Théâtre national de Nice
22 au 26 janvier 2025 au Théâtre Montensier, Versailles
12 et 13 février 2025 au Théâtre de Pau
25 et 26 février 2025 à la Maison de la culture d’Amiens
4 au 6 mars 2025 au Quai – CDN d’Angers
18 au 20 mars 2025 au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence
25 au 29 mars 2025 au Théâtre municipal de Caen
2 au 5 avril 2025 à Bonlieu – Scène nationale d’Annecy
8 au 11 avril 2025 à La Comédie de Saint-Étienne
16 avril au 25 mai 2025 au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Mise en scène d’Alain Françon assisté de Marion Lévêque
Avec Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Remil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Dominique Valadié, Georgia Scalliet, Maxime Terlin
Décors de Jacques Gabel
Lumières de Joël Hourbeigt et Thomas Marchalot
Musique de Marie-Jeanne Séréro
Costumes de Pétronille Salomé
Maquillages et coiffures de Judith Scotto
Conseil chorégraphique de Caroline Marcadé
Assistanat costumes et coiffure – Habillage Charlotte Le Gal