Quelle image gardiez-vous des Misérables ?
Ladislas Chollat : Aucune avant de le découvrir à Londres il y a huit ans. Alain Boublil, l’auteur du livret, est venu voir mon spectacle musical Oliver Twist, en 2016 et m’a soufflé que le temps était peut-être venu de monter Les Misérables à Paris. J’ai pris conscience que je n’avais jamais vu cette célèbre comédie musicale. J’en suis sorti bouleversé. Je me suis ensuite plongé dans les 1600 pages de ce roman-fleuve que j’avoue, je n’avais jamais lu. Et le livre m’a fasciné tout comme son immense retentissement dès sa sortie. Les gens qui faisaient la queue devant les librairies. Ceux ne sachant pas lire qui se rendaient à des lectures collectives. Sa portée sociale est extrêmement forte.
Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter de relever le défi de cette nouvelle mise en scène ?
Ladislas Chollat : Cette rencontre avec Hugo ! L’énergie vitale de cette œuvre est impressionnante. Et puis sa vision de la nature humaine a traversé les époques. Il nous touche toujours. Pourtant, il ne nous épargne pas. Il passe son temps à jouer avec nos sentiments. On s’attache aux personnages avant qu’ils ne meurent sous nos yeux. Enfin, il y a cette alchimie entre la petite et la grande Histoire. Celle d’un pays en mouvement.
La notion de révolution appartient au patrimoine français. C’est ce qui rend ce récit toujours aussi actuel ?
Ladislas Chollat : La misère sociale aussi. Mais il faut se garder des anachronismes. Ce qui nous parle aujourd’hui, c’est l’humanité des personnages, leur fragilité, leur détresse. C’est pourquoi j’ai demandé aux artistes de jouer naturaliste. Pour être au plus proche des rôles qu’ils incarnent. Je les ai fait travailler leurs chansons comme des monologues au théâtre.
Avez-vous visionné la version d’origine de 1980 signée Robert Hossein ?
Ladislas Chollat : Je ne travaille pas beaucoup en référence parce que je redoute que la référence ne m’oblige trop. J’ai revu la version anglaise à de multiples reprises. Comme je l’avais tellement aimée la première fois, je me suis dit qu’il fallait que je la voie jusqu’à ce que les coutures craquent, C’est compliqué de créer dans l’admiration. En même temps, j’ai compris assez vite ce que je pouvais apporter. Telle un piano, c’est une œuvre sur laquelle on peut appuyer sur de nombreuses touches. Je suis moins dans le côté épique et romanesque, mais dans quelque chose de romantique et de poétique. J’ai eu envie d’un retour aux sources, d’un retour à Victor Hugo.
On perçoit un véritable coup de cœur pour l’écrivain…
Ladislas Chollat : Mais aussi pour l’homme. Il me touche infiniment. J’ai visité les lieux où il a vécu. J’ai essayé de mieux le connaître. Et c’est dans un recueil de poèmes Les Feuilles d’automne que j’ai fini par comprendre. Quand il écrit : « Abandonné de tous, excepté de sa mère, cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre », c’est de lui dont il parle. Il est cet enfant souffrant d’un déficit d’amour, cet homme qui a peur d’être effacé. En prolongement, il va s’intéresser à tous ceux qui n’ont rien, tous ceux qui risquent d’être effacés et qu’il choisit de faire exister par ses mots.
Pourquoi cette envie de revenir à la langue française ?
Ladislas Chollat : Parce que Victor Hugo, c’est notre patrimoine ! Le spectacle est parti en Angleterre puis dans le monde entier où il connaît le succès depuis quarante ans. Avec le producteur Stéphane Letellier-Rampon, nous avons eu l’envie de le ramener en France, pour nous le réapproprier.
Comme vous le dites, cette comédie musicale a connu de nombreuses productions. Avez-vous conscience d’être un maillon de cette chaîne ininterrompue depuis plus de quatre décennies ?
Ladislas Chollat : J’ai vite pris conscience de la puissance incroyable de cette œuvre créée par Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg. Il est très difficile de ne pas être ému par ce spectacle. Ça nous prend aux tripes. L’alliance de la musique et du texte produit une comédie musicale opératique magnifique.
Là, le casting a duré très longtemps. C’est l’un des plus longs que j’ai pu connaître. Dune part, parce que nous étions nombreux à nous prononcer, dont le producteur Cameron Macintosh qui a donné son accord pour cette production. Mais aussi parce que les interprètes devaient remplir deux critères. Pour restituer la complexité des personnages de Hugo qu’on retrouve dans le livret, je voulais des artistes qui soient à la fois capables de prouesses vocales mais aussi dotés d’une grande qualité d’incarnation. Je voulais la beauté des musicals de Broadway avec une fragilité qui affleure. Quand ils chantent, je ne veux pas voir uniquement une performance vocale, je veux les voir vivre.
propos recueillis par Claudine Colozzi
Les Misérables d’Alain Boublil (livret) et Claude-Michel Schönberg (musique)
Nouvelle production en français
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet
75001 Paris
Du 20 novembre 2024 au 2 janvier 2025
Mise en scène de Ladislas Chollat
Avec Benoît Rameau, Sébastien Duchange, Claire Pérot, David Alexis, Christine Bonnard, Juliette Artigala, Jacques Preiss, Océane Demontis, Stanley Kassa, Maxime de Toledo, Paul Wandrille Charbonnel, Liam Jabnoune, Victor Bigot, Gaspard de Cerner, Maëlys O Neil, Louise Monteil, Bertille Grégoire, Iris Monzini, Émilie de Froissard, Suzanne Bafaro, Roxane Carbonnier, Penny Padilla…
Direction musicale d’Alexandra Cravero et de Charlotte Gauthier
Décors d’Emmanuelle Roy
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières d’Alban Sauvé
Chorégraphie de Romain Rachline Borgeaud
À LIRE
J’avais rêvé… Une amitié en musique d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg. En conversation avec Remy Batteault. Éditions du Rocher.