Je vis dans une maison qui n'existe pas de Laurène Marx © Blithe Williams
Je vis dans une maison qui n'existe pas de Laurène Marx © Blithe Williams

Supernova 2024 : la scène contemporaine à la fête 

À Toulouse s’est achevée la neuvième édition du Festival dédié à la jeune création. Lancé en 2016 par Sébastien Bournac, alors tout nouveau directeur du Théâtre Sorano, la manifestation est devenue un incontournable automnal de l’art vivant. 

Sur les bords de la Garonne, l’art s’hybride et se conjugue à tous les temps et à tous les genres. Depuis le 5 novembre, la jeune garde de l’art vivant investit les salles toulousaines, questionne le monde d’aujourd’hui et donne à voir le théâtre de demain. D’Elsa Granat en ouverture à Suzanne de Baecque, de Stéphanie Alflalo à Théo Askolovitch, la programmation de cette neuvième édition de Supernova fait le grand écart entre performance singulière et grande théâtralité. 

Avant de faire ses adieux au Théâtre Sorano en décembre et de laisser sa place à Karine Chapert, l’actuelle secrétaire générale, Sébastien Bournac a imaginé une belle fête pour la jeune création. S’appuyant sur des partenariats fidèles avec le Théâtre Garonne, le Théâtre de la Cité, le Théâtre Jules Julien, le Théâtre du Pont-Neuf, l’Espace Roguet, le Centre Culturel Bonnefoy, le Centre culturel des Mazades, La Fabrique-Université Toulouse-Jean Jaurès, le Ring x NeufNeuf Festival et l’Escale, il a conçu un parcours qui fait la part belle aux femmes et aux queers. 

The Beginning de Bert & Nasi © Élodie Le Gall
The Beginning de Bert & Nasi © Élodie Le Gall

En ces derniers jours de festival, les petites formes sont à l’honneur. Au Garonne, Bert & Nasi, duo inclassable de performeurs, présente leur diptyque The End et The Beginning, au Sorano, Laurène Marx creuse les identités hors normes, dans Je vis dans une maison qui n’existe pas et dans Jag & Johnny. Chacun à leur manière, ces quatre spectacles interrogent l’état de nos sociétés contemporaines, leur folie, leurs normes et leurs travers. 

Emportés dans le tourbillon de leurs existences, Bert & Nasi se cherchent, se tournent autour et confrontent leur amitié à leur vulnérabilité. À l’échelle du big bang, que représentent les liens fraternels ? Proches aujourd’hui, le seront-ils encore demain ? Telle est la question qui irrigue The End. Résolument à part, ces deux clowns un peu gauches font du plateau leur terrain de jeu. Drôles et mélancoliques, ils esquissent un pas de deux décalé, qui tourne certes en rond mais sans que jamais la fraicheur de leur style et de leur écriture ne perdent leur charme absurde.

Ne se prenant jamais au sérieux, et c’est leur plus grande qualité, les deux compères naviguent à vue, jouent avec le temps qui défile et embarquent le public dans une danse émouvante autant que saugrenue. Adeptes d’une forme de minimalisme, ils n’ont d’accessoires que leurs corps déguingandés  et des projections de textes racontant la double fin de leur collaboration et du monde. Plus tendre et délirante que triste, leur œuvre se déguste sans modération comme un bonbon légèrement acidulé qui finit par pétiller en bouche. 

Sans grande surprise, The Beginning est construit sur le même principe. Mais cette fois, les deux artistes n’hésitent pas à mettre le public à contribution. À travers une succession de débuts, à l’écriture tout aussi brinquebalante, ils célèbrent la vie, ses ratages, ses rencontres. Le temps passe mais, tout finit par recommencer ici ou ailleurs. Et ça fait un bien fou ! 

Au Sorano, l’ambiance est définitivement queer. En s’intéressant à la représentation des transidentités sur les plateaux des théâtres, Romane Nicolas, écrivaine, performeuse et éditrice pour Le Pôticha éditions, Samaële Steiner, écrivaine et éclairagiste, Lou/Lux Durand, performeuse et militante, et Ève Magot, chorégraphe, performeuse et autrice, invitent à une réflexion en profondeur sur leur combat pour exister au-delà de leur genre. 

Dans une société en plein repli, où souvent on leur oppose une fin de non-recevoir prétextant que leur spectacle n’est pas dans leur ligne de programmation ou ne conviendrait pas à leur public, ces quatre artistes donnent leur voix pour pouvoir créer et présenter leur travail dans des conditions décentes. Sans détour, avec beaucoup d’intelligence et sans acrimonie, elles évoquent leur précarité et leur difficulté au quotidien. Bouger les frontières, ancrer la diversité et les minorités au plateau, tel est le credo qu’elles martèlent et qu’il est nécessaire de relayer à l’heure des coupes budgétaires qui risquent de fragiliser encore plus une situation déjà alarmante. 

Jag & Johnny de Laurène Marx © Blithe Williams
Jag & Johnny de Laurène Marx © Blithe Williams

Un peu plus tard, c’est au tour de Laurène Marx de prendre la parole. Autrice, metteuse en scène et performeuse, elle présente deux de ses créations, l’une qu’elle porte au plateau, où elle évoque ses troubles dissociatifs, l’autre, où elle s’empare de la vie de son actrice Jessica Guilloux, dite Jag. Dans les deux cas, ce qui frappe c’est le ton, la langue, un style. Reconnaissable entre mille, l’écriture de Laurène Marx est brute, directe et radicale. S’adressant au public, elle déplie les petits et grands maux du quotidien. Elle fait récit avec des anecdotes qui dessinent une société rongée par ses normes. 

Chercher sa place quand on est différent dans un monde où tout doit entrer dans des cases, c’est définitivement impossible. Accompagnée de sa chienne Johnny, sa seule et fidèle compagne, Jag revient sur les terres de son enfance, que ce soit dans la chambre où elle a grandi ou dans le salon de ses grands-parents. Vivant de petits boulots, la gamine issue de la classe populaire rurale blanche se sent étrangère. Entre deux mondes celui des parvenus – son beau-père – et celui de la précarité, elle évoque le cocon familial dysfonctionnel, la télé qui a construit son identité et la rage qui l’habite. Si Laurène est partout, c’est bien Jessica Guilloux qui donne à ce monologue son existence et sa substance sans concession. 

La journée touche à sa fin. La neuvième édition de Supernova vit ses derniers feux. Le foyer du Sorano s’est transformé en DJ Set. Place à la fête. Les artistes de la jeune création et le public venu nombreux l’ont bien mérité ! 


Festival Supernova #9
Théâtre Sorano
du 5 au 23 novembre 2024

The End  et The Beginning de Bert & Nasi
avec Bertrand Lesca et Nasi Voutsas

Collaboratrice artistique de Laura Dannequin 
Création lumière de Jessica Hung Han Yun
Régisseur  – Enrico Aurigemma ou Ruth Green

Jag & Johnny
Texte et mise en scène de Laurène Marx & Jessica Guilloud
Avec Jessica Guilloud et son chien

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com