Jeu de miroirs ou jeu de dupes, dédoublement de personnalité, de personnage, Le monte-plats d’Harold Pinter revu par le talent malicieux d’Etienne Launay invite à une plongée kaléidoscopique dans le théâtre de l’absurde. Si l’ensemble tourne à vide tant l’ennui transparaît délibérément des dialogues, néanmoins, on se laisse séduire par ce spectacle burlesque et le jeu second degré des comédiens.
Une musique d’ambiance rappelant quelques films de truands accueille le public, qui découvre une scène divisée en deux parties distinctes et similaires à la fois. Coupure « noir », deux comédiens prennent place. Côté cour, sur un lit de fortune, Gus (énervé Mathias Minne) s’agite. Il se lève fait les cent pas. L’attente le mine, le rend nerveux. Côté jardin, Ben (névrotique Benjamin Kühn) reste stoïque, impassible.
Par un effet, de miroirs, un autre Ben (frustre Bob Levasseur), plus costaud, plus grand, fait son apparition. Journal à la main, il tente de faire abstraction de l’excitation fébrile de son collègue. Il faut dire que le moment est singulier. Nos deux compères tentent de tuer le temps. Coincés dans un appartement en sous-sol, ces deux tueurs à gages patientent attendant leur prochain contrat. Mais, bien évidemment, rien ne se passe comme prévu. Impossible de faire du thé, le courant ne marche pas. Plus de cigarettes, il est donc impossible de fumer.
Alors que les rapports se tendent, d’étranges phénomènes viennent troubler leur quiétude apparente. Un monte-plats se fait entendre, réclamant son dû, quelques nourritures à se mettre sous la dent. Afin de renforcer l’angoisse qui se lit sur les visages de nos deux lascars, Etienne Launay a eu l’habile idée de doubler les rôles. Ainsi, par un jeu de parallélisme, de miroirs, deux Bens font face à deux Gus, chaque comédien donnant une nuance différente au personnage qu’il interprète. Cette astuce permet de donner un nouveau souffle à cette pièce d’Harold Pinter qui tourne un peu en rond. À trop vouloir démonter l’absurdité de la vacuité, le dramaturge anglais écrit sur du vide, du creux qui confine par moment à l’ennui, certes voulu par l’auteur.
En nous invitant à une plongée dans l’univers cinématographique de Danny Boyle, de Guy Ritchie, Etienne Launay propose une adaptation très personnelle de ce texte de jeunesse du prix Nobel anglais de littérature et lui donne une autre vie, plus rock, plus pétulante. Toutefois, à force de ne rien dire, malgré une mise en scène enlevée, une lassitude gagne le spectateur. Cependant, rendons hommage aux artistes, le jeu ciselé et pétillant de Benjamin Kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur et Mathias Minne empêche d’y céder totalement et finit par redonner vie et couleur à l’ensemble. Du bel ouvrage !
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Le Monte-plats D’Harold Pinter
Théâtre du Lucernaire – Théâtre noir
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
jusqu’au 20 mai 2018
du mardi au samedi à 18h30 et le dimanche à 15h00
durée 1h environ
traduction de Mitch Hooper, Anatole de Bodinat et Alexis Victor
mise en scène d’Etienne Launay assisté de Pierre-Louis Laugérias
Avec Benjamin Kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur et Mathias Minne
Créateur Lumière : Kevin Hermen
Compositeur : Adrian Edeline
Crédit photos © Mayliss Ghora