Le temps s’échappe inexorablement dans un dernier souffle de vie interminable. Emportée dans un monde fantasmagorique et ténébreux, le corps ballotté par les éléments, une jeune femme s’abandonne à l’obscurité qui envahit son âme, son sang. En s’intéressant au modus operandi du suicide, la performeuse Phia Ménard captive et surprend par la radicalité de son propos qui s’étire un peu trop à l’envi.
Au cœur de l’obscurité, un vent ronflant de tempête envahit l’espace de son souffle puissant, sonore. La voix de Phia Ménard s’élève contant le destin tragique de quelques oisillons bernés par le rayon pernicieux d’une aurore factice et trompeuse qui n’annonce point le lever du jour, mais bien la continuité d’une nuit sombre et ténébreuse. Dans la pénombre, le corps d’une jeune femme (lumineuse Chloée Sanchez) de blanc vêtue apparaît. Il semble bringuebalé par les flots furieux d’une mer houleuse de plastique noir. La lutte est bien vaine. Inéluctablement, il disparaît, englouti dans les eaux profondes.
Dénudée, endormie, costume couleur chair, la singulière créature ressurgit des méandres ténébreux où nous entraînent l’étrange scénographie de Phia Ménard. Cernée de pics, d’appendices noirs formant une forêt angoissante, l’âme de la jeune femme semble piégée dans sa part d’ombre, là où mélancolie et vague à l’âme prennent le pas sur tout le reste. Lentement, elle se laisse séduire, envoûtée par l’étonnante mélopée de la mort qui rôde dans les moindres recoins de l’espace scénique.
Pris de spasmes, tour à tour bestiale ou fragile vierge effarouchée, l’artiste Chloée Sanchez se livre aux éléments et hante le plateau de ses cris perçants, de ses mouvements transcendés, saccadés, de ses pas qui esquissent quelques valses ensorcelantes. Insensiblement, la triste réalité reprend le dessus, la mort est inéluctable. Le corps doit être sacrifié, calciné pour qu’enfin la pureté de l’âme se libère de son carcan de chair et d’os.
Loin de faciliter la tâche aux spectateurs, Phia Ménard s’amuse de leurs angoisses, de leurs peurs intérieures en esquissant à peine son propos. Semant quelques indices dans les singuliers et magnifiques décors qu’elle a imaginés, la performeuse laisse libre chacun d’imaginer sa propre histoire. Si la noirceur, l’obscurité domine l’ensemble, si la fin, l’abandon de toute existence terrestre est inévitable, si le chaos l’emporte sur la raison, la vie éternelle, l’espoir d’un monde autre, meilleur, peut-être, finit par se glisser par d’infimes interstices. Telle une Jeanne d’Arc des temps modernes, l’âme s’affranchit de son corps haï, renaît des cendres de ce poids mort qu’est la carcasse humaine.
Abscons pour certains, trop long, trop lent, bouleversant, intense pour d’autres, cette nouvelle création de Phia Ménard va une nouvelle fois faire parler d’elle. En nous invitant au moment de bascule où l’individu décide de se donner la mort, la performeuse et metteuse en scène nous confronte à nos angoisses, nos doutes, tout en évoquant son propre parcours, son histoire, ses propres interrogations sur la vie, le passage d’un corps à un autre.
À chacun donc de plonger dans les eaux troubles, dans la noirceur d’un monde où le temps d’un instant tout semble vain, et de se faire son opinion sur ce singulier spectacle fait d’une suite de tableaux tous plus éblouissants les uns que les autres.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les os noirs de Phia Ménard
Le Monfort Théâtre
Hors les murs du Théâtre de la Ville
Parc Georges Brassens
106, rue Brancion
75015 Paris
jusqu’au 14 avril 2018
du mardi au samedi à 20h30
Durée 1h15 environ
Idée originale, dramaturgie, mise en scène et scénographie : Phia Ménard
assistant à l’écriture et dramaturgie : Jean-Luc Beaujault
avec Chloée Sanchez
composition sonore et régie son : Ivan Roussel
création lumière et régie lumière :Olivier Tessier
création costumes : Fabrice Ilia Leroy
création machinerie et régie générale plateau : Pierre Blanchet assisté de Mateo Provost
construction décor et accessoires : Philippe Ragot
photographies : Jean-Luc Beaujault
codirectrice, administratrice et chargée de diffusion : Claire Massonnet
régisseur général :Olivier Gicquiaud
Crédit photos © Jean-Luc Beaujault