Retour vers le futur, c’est un sous-titre approprié pour un programme qui clôt treize années de direction du Ballet de Lorraine pour Petter Jacobsson et Thomas Caley. Comme un coup d’œil dans le rétro et une projection vers le futur. Pas de place pour la nostalgie à l’Opéra de Nancy durant cette soirée conçue comme un voyage à travers trois pièces pleines d’audace. L’exigence comme moteur peut résumer cette direction artistique qui a souvent privilégié les grandes formes au plateau et a surpris par ses choix éclairés et défricheurs.
Entrée au répertoire de la compagnie en juillet 2024 à l’occasion du Festival Montpellier Danse, CRWDSPCR illustre combien les interprètes ont su faire leur miel de chaque proposition. Malgré le travail que cela demande de devoir slalomer entre les esthétiques. Écrite en 1993, cette pièce de Merce Cunningham n’avait jamais été dansée par une autre compagnie. Elle a pu être remontée grâce à la volonté de Thomas Caley, ancien membre de la Merce Cunningham Dance Company aidé de Jeannie Steele.
Conçue à l’aide des nouvelles technologies, elle se caractérise par une abstraction qui peut paraître austère de prime abord. Mais au fur et à mesure, les treize danseurs en académiques multicolores composent un paysage mouvant avec du relief et des lignes de crête renforcées par la musique jouée en live. Une poésie se dégage de ces mouvements frénétiques nimbés d’un halo de mystère. S’il peut dérouter par son graphisme presque aride, ce travail sur les corps et l’appropriation de l’espace est tout simplement fascinant.
Poupées désarticulées
Fugitive Archives de Latifa Laâbissi nous plonge dans un univers résolument différent qui rend hommage aux Ballets suédois. Un immense paravent déployé se fait l’écran d’ombres chinoises grimaçantes. Au plateau, huit danseuses en courtes robes à crinoline ornées d’un damier noir et rouge imaginées à partir du Marchand d’oiseaux, pièce emblématique de cette période avant-gardiste, avancent telles des poupées désarticulées.
Visages et mains maquillés de blanc, bouches carmin, tresses brunes, elles ressemblent autant à des jeunes filles un peu gauches qu’à d’effrayants zombies. Dans une chorégraphie flirtant beaucoup avec la pantomime, elles avancent genoux rentrés vers l’intérieur, yeux exorbités, ou basculent quatre pattes en l’air. Suscitant à la fois le malaise et le rire, ces gamines semblent échappées d’un bal des folles du 19e siècle.
Feu d’artifice burlesque
La reprise de Mesdames et Messieurs, également programmée dans la soirée Pas assez suédois ! en 2022, constitue un feu d’artifice habilement placé en fin de programme par ses créateurs Petter Jacobsson et Thomas Caley. Quelle meilleure façon de se dire au revoir que cette pièce festive et impertinente inspirée de Cinésketch de Francis Picabia, ce « souper costumé » pour quelques happy few qui eut lieu le 31 décembre 1924 au bar du théâtre des Champs-Élysées. Cent ans après, cette effervescence est toujours envisageable. La bande-son est un patchwork qui fait jaillir les souvenirs.
Sur un fond vert (un comble au théâtre !) qui rappelle celui utilisé pour les trucages, les personnages surgissent tels des trublions revêtus de costumes excentriques. Ils entament une partie de cache-cache avec de grandes plaques de plexiglas qu’ils manipulent dans tous les sens. L’aspect vitesse accélérée de leur gestuelle est là pour rappeler le cinéma burlesque, ses gags visuels. Les courses poursuites et les performances physiques sont volontairement exagérées.
Les interprètes semblent s’amuser follement et nous entraînent dans cette cavalcade. Les corps s’animent en permanence dans ce mouvement perpétuel. Y compris dans les saluts, les danseurs multiplient les adresses directes au public par leurs mimiques. The show must go on, semblent-ils vouloir nous dire.
Claudine Colozzi
Programme 1, soirée 2 (saison 2024/2025) du Ballet de Lorraine
Opéra national de Lorraine
Du 6 au 10 novembre 2024. Vu le 7 novembre 2024.
Durée : 1h40 avec entracte
CRWDSPCR – première à Nancy
Pièce pour 13 artistes chorégraphiques (27 minutes) entrée au répertoire le 5 juillet 2024 au Festival Montpellier Danse
Chorégraphie : Merce Cunningham
Musique : John King, blues 99
Musique live : Laura Mateos et Ben Unzip
Costumes, scénographie et lumières : Mark Lancaster
Remontée par Thomas Caley et Jeannie Steele
Fugitive Archives
Pièce pour 8 danseuses (25 minutes) créée le 18 mai 2022 pour le spectacle Pas assez suédois !
Dans le cadre du centenaire des Ballets Suédois 1920-1925
Conception et chorégraphie de Latifa Laâbissi
Assistante à la chorégraphie – Olga Dukhovnaya
Conception & réalisation de la scénographie – Nadia Lauro
Conception des costumes – Nadia Lauro d’après les archives des Ballets Suédois Réalisation des costumes – Atelier costumes du CCN – Ballet de Lorraine
Création son : Manuel Coursin
Lumières d’Eric Wurtz
Mesdames et Messieurs
Pièce pour 11 artistes chorégraphiques (25 minutes) créée le 18 mai 2022 pour le spectacle Pas assez suédois !
Dans le cadre du centenaire des Ballets Suédois 1920-1925
Chorégraphie, scénographie et recherches musicales de Petter Jacobsson et Thomas Caley
Arrangement sonore :-Aria De la Celle
Lumières d’Eric Wurtz
Costumes de Birgit Neppl
Réalisation des costumes – Atelier costumes du CCN – Ballet de Lorraine
Avec la participation de l’Ecole de Broderie d’Art du lycée Paul-Lapie de Lunéville
