Marine Colard © Antoine Legond
Marine Colard © Antoine Legond

Marine Colard : « Les gestes ont autant d’importance que les mots prononcés » 

À l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône, la chorégraphe à la tête de la compagnie Petite foule vient de créer sa nouvelle création, Bataille générale, un quatuor sur l’art oratoire.

Marine Colard : Le projet est né plusieurs fois. La première fois, quand j’ai voulu travailler sur les prises de paroles en public de personnalités mondiales lors d’événements professionnels ou personnels. Ensuite, lorsque je me suis rendue compte que la pièce parlait aussi de mon propre rapport avec la prise de parole, plus intime, et de la peur que l’on peut ressentir avec la prise de parole en public. C’était important pour moi de prendre cette pièce à rebours de la précédente et de creuser la fragilité de la parole autant que sa force et sa puissance. 

Bataille générale de Marine Colard © Frédéric Iovino
© Frédéric Iovino

Marine Colard : Pour convaincre les foules, les personnes qui s’expriment en public savent que les gestes ont autant – voire plus – d’importance que les mots prononcés. Dans la pièce, les gestes viennent amplifier ou déjouer et prendre à rebours la parole. L’actio, dont parle Cicéron dans son ouvrage De Oratore, m’intéresse particulièrement car elle renvoie au jeu du corps et à l’importance du non verbal. C’est la gestuelle, les mouvements du visage, les postures et la façon dont la parole est incarnée qui m’a intéressée. 

Marine Colard : Une étude montre qu’on ne retient que 7 % des mots prononcés dans une prise de parole. Le reste correspond au timbre de la voix, au rythme des mots et à l’effet que le corps de l’autre produit, à savoir le langage corporel. C’est autour du “geste oratoire” que nous avons travaillé au plateau et du pouvoir que l’on peut prendre dans la société grâce à la maîtrise du langage. Et donc le rapport de domination que cela implique. J’ai aussi voulu creuser le décalage entre les corps et les mots dans le processus créatif et nous interprétons une partition de sons/mots/phrases qui sont des réservoirs de pensées, comme le corps.

Bataille générale de Marine Colard © Frédéric Iovino
© Frédéric Iovino

Marine Colard : Côté dramaturgie, mon histoire personnelle m’a inspirée, une phrase dite lorsqu’on est enfant « qu’est-ce qu’elle parle celle-là », des lectures comme les poèmes de Camille Readman Prud’homme,“Quelquefois tu manques de mots ou plutôt d’espace pour dire les mots et ce qui aurait pu être une parole reste une pensée”, des recherches sur l’art oratoire et son origine en Grèce antique, le drapé des orateurs, des astuces pour utiliser la langue de bois en politique, le film Le Dictateur de Chaplin, les mains qui sont très utiles chez les orateurs et qui par leur danse permettent de supplier, menacer, appeler, promettre, admirer… et la réponse de google à ma question : Quelle est la deuxième peur de l’homme après celle de la mort ? Prendre la parole en public. 

Marine Colard : Parce que les mots ne suffisent pas pour dire quelque chose. Parfois il n’y a pas de mots pour traduire le rapport à l’autre et en parlant on limite le monde, on l’achève. C’est le médium, avec le chant, qui me permet de m’exprimer et de jouer avec ce décalage qui me plait, et développer ainsi mon imaginaire. La danse est un chemin pour prendre la parole sans les mots parce que le corps délivre souvent un message plus clair que les mots. Le corps par lequel nous percevons nos sensations est aussi le reflet de nos émotions et nos gestes “trahissent” les émotions qui nous traversent.

Bataille générale est une pièce de danse contre le langage. « Contre » est ici à entendre dans la proximité de l’une avec l’autre : les gestes viennent soutenir, amplifier ou déjouer la parole. Et la danse peut laisser la place à l’intraduisible, à quelque chose qui n’est pas rattrapable dans l’immédiat et cela me plait beaucoup. 


Bataille générale de Marine Colard
Création le 15 novembre 2024 à L’Espace des arts
5B Avenue Nicéphore Niépce
 71100 Chalon-sur-Saône
durée 1h

Tournée
3 décembre 2024 à l’Atelier de Paris CDCN
14 janvier 2025 au Théâtre d’Auxerre
21 & 22 janvier 2025 au  Théâtre de Mâcon SN
24 janvier 2025 à L’ARC – Scène nationale  Le Creusot

Chorégraphie de Marine Colard en collaboration avec Jeanne Alechinsky, Fabio Bergamaschi, Pierre Cuq
Avec  Jeanne Alechinsky, Fabio Bergamaschi, Marine Colard, Pierre Cuq
Création musicale d’Aria de la Celle
Travail vocal de Lawrence Williams
Création lumière de Lucien Valle
Scénographie d’Andréa Baglione
Costumes de Marion Moinet

Régie générale de Benjamin Bertrand
Collaboration artistique – Jérôme Andrieu, Michel Cerda
Regards –  Sofia Cardona Parra, Caroline Châtelet, Esse Vanderbruggen, Nina Vallon

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