La mouette - Stéphane Braunschweig © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

La Mouette : le salut de Braunschweig aux enfants du siècle

Pour ses adieux à la direction du théâtre de l’Odéon, qu’il dirigeait depuis 2016, le metteur en scène a choisi la pièce emblématique d’Anton Tchekhov qui aborde la création artistique et théâtrale. Tout est dit.

Créée en 1896 à Saint-Pétersbourg la pièce du grand auteur russe – écrite comme il le dit « à l’encontre de toutes les lois dramaturgiques » – a connu un flop. Le public n’était pas préparé ! Le succès arriva deux ans plus tard avec la mise en scène de Stanislavski. Le monde du théâtre commençait sa mutation avec l’ère des metteurs en scène. En ce début de XXIe siècle, Stéphane Braunschweig, s’interroge sur ce qu’il en est aujourd’hui, de l’art et de la société.

La mouette - Stéphane Braunschweig © Simon Gosselin
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Dans toutes ses œuvres, Tchekhov dépeint le déclin de la société russe, qui n’a su prendre le train de l’industrialisation en marche et que la révolution d’Octobre balayera d’un coup. Traînant souvent leurs désœuvrements, ses personnages s’accrochent au passé refusant d’y voir l’abîme dans lequel ils tombent inexorablement. Faut-il s’ cramponner ou tout bouleverser ?

Pour reprendre les mots de Christian Benedetti : « Monter Tchekhov c’est être au présent. La question que pose l’auteur est : C’est quoi l’état de l’homme contemporain ?  » Et comme l’histoire bégaye, ce début de XXIe siècle à d’étrange similitude avec la fin du XIXe ! La société change, le monde va mal, la culture ronronne sur ces vieux acquis. Et la jeunesse dans tout ça ? Elle cherche sa place, tente de bousculer l’ordre des choses et se fait souvent broyer. Les anciens s’en sortent parce qu’ils ont appris à s’accrocher, les jeunes brûlent leurs âmes. C’est tout l’enjeu de la mise en scène de Braunschweig et il résonne fortement.

Les « vieux » de la pièce sont des archétypes qui nous en apprennent bien sur nous-mêmes. Arkadina (formidable Chloé Réjon) est un monstre sacré à la carrière déclinante. Refusant de vieillir, par peur de ne plus être à la mode, elle court après la jeunesse éternelle. Un corps parfait, un âge que l’on cache, des souvenirs que l’on oublie. Trigorine (étonnant Denis Eyriey) est un écrivain reconnu enfermé dans une routine. Égocentré, il se sert des femmes et refuse d’aider les jeunes pour ne pas perdre son auréole. L’intendant Chamraïev (impayable Thierry Paret) radote ses anecdotes sur l’air du « c’était mieux avant ! ».

La mouette - Stéphane Braunschweig © Simon Gosselin
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Du côté de la jeunesse, si certains rêvent de conquêtes, les autres ont lâché prise. Ils ont en commun d’avoir perdu d’avance le droit de croire en l’avenir ! Treplev (épatant Jules Sagot) veut bouleverser les codes et écrire des choses nouvelles. Il aime passionnément Nina. Sa seule issue est le suicide. Nina (éblouissante Ève Pereur) veut devenir actrice. Séduite par Trigorine, elle le suit et se perd. La petite mouette ayant les ailes brisées n’a plus que la folie du désespoir comme ultime refuge. Macha (formidable Boutaïna El Kekkak) dissimule son mal d’amour dans l’alcool et le tabac. Elle finit par épouser Medvedenko (touchant Jean-Baptiste Anoumon), maître d’école pragmatique sans fantaisie.

Et puis, il y a ceux qui ne sont allés nulle part. Sorine (délicat Jean-Philippe Vidal) qui s’est enfermé dans une fonction, regrettant de ne pas avoir vécu et aimé. Enfermée dans son union malheureuse, Paulina (émouvante Lamya Regragui Muzio) sait qu’elle n’accédera jamais à son bonheur, vivre près de celui qu’elle aime. Ce dernier, le docteur Dorn (subtile Sharif Andoura) est un fin observateur qui ne prend jamais parti. Ces « autosacrifiés » de la vie auraient pu peut-être changer le cours des choses. Mais en avaient-ils les possibilités ?

La scénographie de Braunschweig est esthétiquement frappante avec ce grand lac asséché, sur lequel traîne une barque défraîchie, cet horizon fermé et ses mouettes qui tombent. Elle en dit des choses sur l’état de la nature face au dérèglement climatique. Grâce à elle, le poème de Treplev sur le monde en ruine qui se termine ainsi, « au terme d’une longue, longue série de millénaires, et la lune, le lumineux Sirius et la terre ne seront plus que poussière… Et d’ici là, horreur, horreur… » prennent sens ! Certes la scénographie enferme un peu la mise en scène, mais a le mérite de rendre toute la puissance du suicide de l’artiste. Mais cela n’empêche pas à cette merveilleuse Mouette, portée par une troupe unie, de crier encore. C’est beau !


La Mouette d’Anton Tchekhov
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
Du 7 novembre au 22 décembre 2024
Durée 2h20

Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig
Avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Ève Pereur, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jules Sagot, Jean-Philippe VidalTraduction André Markowicz et Françoise Morvan
collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière de Marion Hewlett
Son de Xavier Jacquot
Maquillages, coiffures d’Emilie Vuez
Assistant à la mise en scène Jean Massé

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