Face contre terre, porte-jarretelles raccommodé avec du gros scotch, débardeur tâché, Samir Kennedy sait soigner ses entrées. Sur une table, un home studio, des jouets, des cannettes de bières (beaucoup), des cachets (beaucoup). Plus loin, un piano. Partout, un public médusé qui ne sait pas où il met les pieds.
D’heureux accidents
Dans ce mauvais concert (qui est donc une excellente performance), le performeur ménage un espace pour d’heureux accidents. Le chaos pour direction artistique, l’artiste détourne nos attentes avec une rare dextérité. C’est notre présence qui sous-tire à ce personnage un spectacle, comme si le refus d’un engagement total répondait en miroir à notre propre voyeurisme, notre besoin insatiable d’en voir davantage, d’en savoir plus.
Mais voilà, le clown se tait. Pas un regard, pas une parole, pas un geste. C’est quand il entrave son chemin que le public lui apparaît. Et s’il faut le déplacer pour amener un piano d’un bout à l’autre du plateau, qu’il en soit ainsi.
Comme confiné dans un appartement crasseux, l’artiste s’évertue à expérimenter, à créer avec ce qui lui tombe sous la main, comme le ferait un enfant. Le résultat n’a aucune importance ; le plaisir de faire supplante tout. Et qu’importe les fausses notes éventuelles, le léger décalage entre les couches d’une même boucle, c’est cet art du bricolage dans ce qu’il a de plus précaire qui rend le personnage touchant.
Un drôle de clown ?
Si son abandon perpétuel génère autant le rire que la frustration, c’est sans doute parce que Samir Kennedy s’évertue à associer de nouvelles règles à chaque tableau. Si la respiration d’une poupée mobilise pleinement l’attention du clown un temps, il pourra tout aussi bien l’envoyer valser dans le décor ensuite. Comme dictée par un trouble de l’attention, l’action est fragmentée. Mais l’ensemble crée finalement du banal, de la routine, même dans les plus belles fulgurances. Et tout ça pour un hommage à Patsy Cline, illustre chanteuse country de la première moitié du XXème siècle.
Candide un instant, cruel ensuite, le performeur imagine une création sur le fil où le public doit faire ses propres choix. Qu’est-ce qui est drôle ? Quand est-ce qu’une blague n’en est plus une ? Lorsque le clown s’installe au piano, bricole quelques accords maladroits et chante son incapacité à jouer, la surprise nous saisit mais très vite, ce qui se distille dans la partition, c’est sa solitude. La nonchalance de ce Joker mélomane tend parfois à la provocation, notamment quand il nous faut patienter pendant que son burger chauffe au micro-onde. Mais on trouve toujours une ombre aux tableaux que brosse Samir Kennedy.
Ce performeur que l’on découvrait grave, solennel, profond dans The Aching montre ici combien son univers peut s’étendre pour jouer sur l’ambivalence, l’inconfort, la frénésie. C’est sans doute pour la promesse de ces grands écarts qu’on se réjouit chaque fois de se rendre à la Ménagerie de Verre, espérant y apercevoir l’éclosion d’artistes singuliers.
Mathis Grosos
Chaos Ballad de Samir Kennedy
Festival Les Inaccoutumés en partenariat avec le Festival Danse dense
du 13 au 15 novembre 2024
La Ménagerie de verre
12, rue Léchevin
75011 Paris France
Tournée
27 & 28 janvier 2025 à la Rote Fabrik, Zürich
22 mars 2025 au Klap – maison pour la danse de Marseille dans le cadre du festival + de genre
Création, performance et son de Samir Kennedy