Vous dirigez l’Onde depuis neuf ans. Que représente ce lieu pour vous ?
Joël Gunzburger : C’est d’abord un outil d’exception. Il y a un auditorium de trois cent places, une salle modulable de 180 places dans laquelle on peut jouer dans tous les sens, et un immense plateau. Ça en fait forcément un outil de compétition, dans lequel on peut quasiment tout accueillir. Il est d’autant plus exceptionnel qu’il a été implanté sur un territoire très particulier d’Île-de-France, où le nombre de structures est très conséquent, donc la concurrence forte, et où le public est peu mobile. Faire vivre un outil de ces dimensions-là dans une ville de 21 000 habitants n’est pas une gageure, c’est une préoccupation, un challenge au quotidien. Mais nous avons réussi à en faire un lieu de croisement des publics. Nous sommes en outre la seule scène conventionnée pour la danse dans les Yvelines, et l’une des rares à accueillir à la fois le spectacle vivant et les arts plastiques.
Quel projet y défendez-vous ?
Joël Gunzburger : D’abord un projet pluridisciplinaire et éclectique dans lequel la danse a pris une part extrêmement importante, puisque nous sommes aujourd’hui la seule scène conventionnée pour la danse dans les Yvelines. S’y opère un vrai croisement entre les arts plastiques et le spectacle vivant. On peut y voir des exposition comme des spectacles. Ceux-ci sont porteurs d’esthétiques parfois radicales et sont volontiers influencées par l’architecture, la photographie, la vidéo ou la peinture. Ma volonté, c’est d’organiser cette correspondance entre les formes, et de faire cohabiter des formes plus ou moins conventionnelles. Et des spectacles qui paraissent parfois moins accessibles vont parfois générer énormément d’enthousiasme, comme ça a été le cas il y a peu avec Kill Me de Marina Otero.
Qu’est-ce qui guide votre programmation ?
Joël Gunzburger : Si je fais ce métier, c’est parce que plus jeune, j’ai été marqué par un théâtre populaire et non moins exigeant : celui de Giorgio Strehler, de Benno Besson d’Ariane Mnouchkine, ou la danse de Béjart. Lorsque j’ai eu l’occasion de mettre en œuvre un projet à la tête d’un théâtre, j’ai eu envie de rassembler les publics, sans jamais renoncer à une exigence de tous les instants. Les artistes que je cite avaient le souci aussi bien de la forme que du fond. C’est-à-dire d’un côté l’émotion visuelle, l’énergie, et de l’autre l’écriture, l’exigence des interprètes, la construction. Quelle que soit la proposition, je suis attentif à tous ces points.
Vous avez dirigé un théâtre à New York, le Ubu Repertory. Qu’est-ce que cette expérience américaine vous a apporté ?
Joël Gunzburger : Elle m’a appris une chose : à bas le sectarisme ! À mon arrivée à New York, j’ai travaillé comme garçon de café. Au bout de cinq mois, j’avais mis un peu d’argent de côté et j’ai frappé à la porte de l’Ubu en me proposant comme stagiaire bénévole. Ils m’ont accueilli. Au bout d’un mois, l’administratrice s’est absentée. Je me suis mis derrière son bureau, ses recommandations en tête, et j’ai commencé à faire son travail. Au bout de cinq jours, elle a annoncé qu’elle allait travailler dans un théâtre sur Broadway. On m’a proposé spontanément son poste. J’avais vingt-six ans, je n’avais été que comédien et garçon de café. La détermination et le plaisir peuvent l’emporter sur les préjugés. En France, à quelques exceptions près, on vous met dans un tiroir, sauf si vous sortez d’une grande école, auquel cas vous pouvez tout faire. Cette ouverture ne m’a jamais quitté : elle influence ma façon de recruter mes collaborateurs, ma façon de programmer, et mon goût pour la création internationale.
Comment est né le temps fort Immersion Danse, et en quoi consiste-t-il ?
Joël Gunzburger : Je voulais un temps fort fondé sur l’international, donnant une image au présent du spectacle vivant à travers le monde. Ma programmation danse était déjà assez fournie, et le ministère de la Culture m’a approché pour me proposer de défendre à l’Onde le label de scène conventionnée pour la danse. Le temps fort est né à la suite. Le temps fort est un moment concentré, sur deux semaines, exclusivement sur la danse, dans le souci de révéler ses différentes expressions. Immersion Danse met en avant un certains nombre de chorégraphes internationaux chaque année, en regard avec la création française.
La programmation du temps fort mêle des grands noms et des découvertes…
Joël Gunzburger : Je m’engage à confronter des artistes de renom et des artistes émergents. Ce qu’il me reste des États-Unis, c’est aussi l’envie de découvrir des artistes dont je ne connais rien a priori. Je reçois énormément de mails tous les jours, et lorsque ceux-ci contiennent des extraits vidéo, je m’y intéresse toujours. Si j’y vois un intérêt fort, je vais me déplacer pour rencontrer l’artiste sur scène.
Que peut-on attendre de la soirée de clôture d’Immersion danse, ce samedi ?
Joël Gunzburger : La soirée est réalisée en partenariat avec Danse Dense, et présente de jeunes artistes émergents. L’un et l’autre sont nourris d’influences diverses. On sent chez Louis Barreau l’influence de la danse classique, et en même temps du cinéma. Il s’en dégage pour composer avec sa propre écriture. Ana Perez Cruz est une artiste franco-espagnole encore peu connue du public français. On sent chez elle une culture teintée à la fois de contemporain et de flamenco, en même temps qu’une écriture personnelle. L’un et l’autre font déjà preuve de maestria et en même temps d’audace.
En tant que directeur de structure subventionnée, comment appréhendez-vous l’accroissement des difficultés structurelles qui s’imposent au secteur ?
Joël Gunzburger : Je suis inquiet, mais pas seulement pour les métiers du spectacle vivant. La misère est partout autour de nous. Je continue néanmoins de penser que nous avons un rôle à jouer, qui consiste à ouvrir les esprits, à apporter d’autres perspectives, pas comme des ayatollahs, mais comme des modérateurs, pour construire une plus grande tolérance vis-à-vis des différentes cultures et des différents langages.
Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban
Immersion danse
Du 5 au 16 novembre 2024
L’Onde – Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création pour la Danse
8 bis avenue Louis Breguet, 78140 Vélizy-Villacoublay