Comme vous l’avez rappelé aux Molières, l’idée du spectacle vous accompagne depuis de longues années. Racontez-nous cela.
Olivier Solivérès : Cela fait effectivement onze ans ! À l’époque, je cherchais une pièce pour mes deux comédiens préférés, mon petit frère Thomas Solivérès (Venise n’est pas en Italie) et William Lebguil, qui jouaient alors dans mon Bossu de Notre-Dame, après avoir joué pendant cinq ans dans Ados. Comme il n’y a pas beaucoup de pièces avec des jeunes, je me suis tourné vers les films. Je me suis souvenu du Cercle des poètes disparus. Un film important pour moi parce qu’il m’avait donné envie de faire du théâtre. J’étais certain que les gens allaient adorer voir des jeunes sur scène, parce que c’était rare ! J’en ai parlé au producteur Jean-Marc Dumontet qui a trouvé l’idée très bonne. Il a décidé d’acheter les droits et là ça a été le début des embêtements. Les Américains nous ont répondu : « No way ! ». Le scénariste ne voulait pas du tout que son film devienne une pièce de théâtre. C’était fini !
Et pourtant…
Olivier Solivérès : Deux ans après, l’agence d’auteurs, Dominique Christophe, à laquelle j’avais demandé les droits, me rappelle pour savoir si j’étais toujours intéressé par Le Cercle. Ils venaient de découvrir que le scénariste, Tom Schulman en avait fait une pièce. Donc, ils voulaient savoir si ça m’intéressait toujours.
En gros, ils vous ont piqué l’idée…
Olivier Solivérès : Cela se passe souvent ainsi avec les Américains ! Ils en ont fait une pièce, dans le Off Broadway, avec Jason Sudeikis dans le rôle de Keating. Ça n’a pas du tout marché là-bas. Mais, le film n’avait pas marché comme en Europe. Alors on redemande les droits, mais ils étaient déjà pris par d’autres. Cela a donc pris à nouveau deux ans pour finalement les obtenir. Ensuite, il a fallu trouver celui qui allait incarner le professeur Keating ! Passer après Robin Williams en a fait peur à plus d’un ! Cela a pris du temps. On a même failli perdre encore les droits !
Comment avez-vous fait votre distribution ?
Olivier Solivérès : Comme mon casting originel avait pris un coup de vieux (rire) et que Thomas et William étaient très pris par le cinéma, il était important que je trouve d’abord les jeunes. On a appelé les agences de comédiens de Paris. Et là, on a été submergés ! Je crois que l’on a eu 1 500 demandes. Nous qui pensions faire passer le casting en une journée, on a dû le faire sur neuf jours. Comme je ne savais pas quel acteur allait jouer Keating, j’ai constitué deux équipes selon l’âge qu’aurait le comédien.
Et puis, arrive Stéphane Freiss. Soyons honnêtes, il n’y croyait pas trop ! Mais quand il a commencé à lire le texte avec les « gamins », il m’a dit : « C’est comme si, moi le TER, j’avais un TGV à côté de moi ! » Il a été pris par le groupe, par ces jeunes qui lui renvoyaient si bien la balle ! À la fin de la lecture, je me suis tourné vers Jean-Marc Dumontet. C’était évident que Keating était pour lui ! Ce rôle lui allait comme un gant. Il avait ce côté un peu anglo-saxon que j’aimais beaucoup.
Et puis, un charisme qui sied à Keating…
Olivier Solivérès : Absolument ! C’est un acteur incroyable. Il m’a avoué qu’il n’avait pas vu le film, à l’époque. Bien sûr, il en avait entendu parler et savait de quoi il était question ! Je l’ai vite rassuré en lui expliquant que je n’allais pas faire une copie du film. Souvent, le cinéma au théâtre, c’est compliqué. On m’a donné une pièce de théâtre, donc je fais une pièce de théâtre.
Vous avez demandé à Gérald Sibleyras de faire l’adaptation en français. Pourquoi ne pas l’avoir faite vous-même ?
Olivier Solivérès : Je ne me sentais pas encore prêt et je ne pouvais pas tout faire ! J’ai choisi Gérald Sibleyras parce qu’il est le meilleur ! On a beaucoup travaillé le texte avant d’arriver à la version définitive. Il y en a eu treize ! Pour la première, Gérald avait fait quelque chose d’un peu moderne, avec du tutoiement. Je voulais vraiment rester dans l’époque des années soixante et aux États-Unis ! Parce que c’est aussi ça que je voulais montrer !
Cela a du sens, car cette époque raconte aussi quelque chose…
Olivier Solivérès : Cela m’intéressait aussi que les jeunes qui viennent voir Le cercle – et c’est ma grande fierté parce qu’ils sont très nombreux – découvrent comment cela se passait à cette époque-là. Aujourd’hui, on parle beaucoup de harcèlement, d’un retour à la rigueur, etc. Finalement, la pièce arrive au bon moment. Le film a marqué beaucoup de générations, ce n’est pas pour rien ! Quelques personnes m’ont dit qu’aujourd’hui cela ne résonnerait plus parce que maintenant les jeunes font ce qu’ils veulent ! Je ne suis absolument pas d’accord avec ça ! Aujourd’hui encore, en 2024, ils sont beaucoup à ne pas pouvoir faire ce dont ils ont envie parce que leurs parents veulent qu’ils fassent des études. Il y en a tant qui ne peuvent pas encore dire à leurs parents qu’ils sont homosexuels. Et c’est ça aussi Le Cercle !
Petite anecdote en passant, un soir à la sortie du théâtre, je remarque des trentenaires en costume-cravate. On sentait qu’ils étaient dans la finance ! Ils avaient les yeux mouillés. L’un d’entre eux a dit : « Et voilà ! Maintenant, on se retrouve dans notre vie ! ». Et si jamais l’un de ces gars reprend des cours de peinture ou de théâtre parce que c’était ça son rêve, alors, là on a gagné !
Comment avez-vous eu l’idée d’ouvrir sur cette boum où le spectateur est invité à danser avec les comédiens ?
Olivier Solivérès : C’est un truc que je fais dans tous mes spectacles jeune public. On appelle ça des préshows. Cela vient du Bossu de Notre-Dame que j’ai monté pour la première fois au Point-Virgule. Comme je viens de la Comédie italienne, je l’avais traité en commedia dell’arte, avec des masques et quand le rideau s’est ouvert certains enfants ont eu peur ! Dès la deuxième, j’ai dit à mes comédiens que pour familiariser les enfants aux masques, on allait faire un petit show avant le spectacle. Et les gens ont adoré ça ! C’est devenu un peu ma marque de fabrique.
Huit jours avant la première du Cercle, je me suis dit que je pourrais reprendre l’idée du préshow. On a imaginé un bal de promo où les jeunes, menés par les standards chantés par Maxime Huriguen, danseraient sur scène puis iraient chercher les gens dans la salle pour les faire monter sur scène. Au début, ils m’ont tous pris pour un fou. Mais ça marche ! Maintenant, on n’a même plus besoin d’aller chercher les gens !
Ainsi dès le début on sent cet esprit de troupe. Comment avez-vous mis en place cette belle alchimie ?
Olivier Solivérès : En regardant les bonus du DVD, j’ai vu que le réalisateur était parti à la campagne avec tous les jeunes pendant quelques jours pour travailler avec eux. J’ai décidé de partir pendant un week-end avec les « miens » pour faire vraiment connaissance. J’ai donc avant les répétitions, embarqué tout le monde à la campagne, chez mes parents qui m’avaient laissé leur maison au milieu des champs. Stéphane a absolument tenu à venir avec nous. Nous avons passé trois jours incroyables. Stéphane nous a fait à manger matin, midi et soir. Il a ce côté un peu « Pygmalion ». Cela a uni la troupe. Ils s’entendent tous très bien.
On ne va pas oublier le vieux directeur et le père qui sont essentiels, ils étaient aussi de la partie ?
Olivier Solivérès : À l’époque, je ne les avais pas encore ! Pour l’anecdote, j’avais auditionné Yvan Garouel pour Les aventures de Pinocchio, que je montais aux Mathurins. Sa prestation dans Gepetto m’a ému aux larmes ! Au moment où il descend de scène, je dis à mon assistant qu’il serait génial dans le rôle du directeur ! Ce sont deux personnages diamétralement opposés mais j’étais sûr de moi. Je l’ai auditionné. Ce personnage lui allait parfaitement.
Quant à Olivier Bouana, j’ai fait sa connaissance quand je jouais dans Derniers coups de ciseaux au Mathurin. Il jouait à côté, au théâtre Michel, dans Le Repas des fauves. On ne s’était pas vus depuis des années et voilà que l’on se croise par hasard au cours de danse de nos filles respectives. Je me dis qu’il serait génial pour jouer le père. Ce ne sont pas des rôles faciles, mais ils sont essentiels. S’il n’y avait pas ce contrepoids, la pièce ne marcherait pas.
Parlons de la mise en scène, scénographie comprise, qui est une de célébration du théâtre…
Olivier Solivérès : En onze ans, j’avais eu le temps de penser à cette mise en scène ! Il y avait déjà des points importants pour moi, comme la salle de classe. Je souhaitais – un peu comme au cinéma – qu’on change d’axe. Et pour la scène finale, quand les élèves se lèvent sur les bureaux et que Keating part dans la salle, les comédiens devaient être face public ! Pour cela il me fallait un théâtre avec une allée centrale car si je faisais partir Keating sur le côté ou par le fond, les jeunes allaient se retrouver de dos ! Esthétiquement, c’était affreux et il y avait moins d’émotion. L’autre point importantétait l’ampoule, symbole de la pendaison ! Pour la mort de Neil, il fallait qu’elle se balance au-dessus de lui. Denis Koransky, qui a fait les lumières, a bien compris ce que je voulais ! L’image est magnifique !
Pourquoi ce décor très figuré ?
Olivier Solivérès : Ça a été un peu compliqué parce qu’il y a de nombreux de changements de lieux et que je voulais que tout bouge. Avec le décorateur Jean-Michel Adam, nous avons fait beaucoup de maquettes qui étaient un peu plus réalistes. Lors d’une réunion, Jean-Marc Dumontet me signale que cela va être trop lourd à réaliser ! Et là, je décide de tout changer. J’annonce que l’on va faire un grand tableau et que les changements vont se faire à vue. Les pupitres sont très importants, il y a toute une chorégraphie autour. J’aime que ça bouge, je ne voulais pas de lumière noire, je voulais que tout s’enchaîne, etc. J’ai la chance d’être entouré d’une équipe en or !
Le spectacle a reçu six nominations aux Molières et vous avez reçu celui de la meilleure mise en scène, un beau signe de reconnaissance de la part de la profession ?
Olivier Solivérès : Avec mes spectacles jeunes publics j’ai été nommé quatre fois ! Je n’ai jamais reçu la statuette car pour cette catégorie, le Privé et le Public sont mélangés ! Donc aucune chance ! Et là, je suis nommé pour « Mon » premier spectacle pour adultes et j’en ressors avec cette belle statuette ! J’ai eu du mal à réaliser. Après avoir reçu la récompense, on va se faire prendre en photos et répondre aux journalistes. Mes deux frères, Thomas et Mathieu, m’ont chopé juste avant. Ils m’ont sauté dans les bras en larmes en me disant : « Tu l’as fait ! ». Cela restera un moment vraiment privilégié. C’était beau.
Après l’immense succès au Théâtre Antoine, vous voilà au Théâtre Libre où le public est toujours aussi présent…
Olivier Solivérès : Un changement de théâtre n’est jamais facile. J’avais peur d’aller ailleurs. Ce n’est pas la même salle et ce n’est pas la même jauge qui est de 1 000 places. Par ailleurs, au théâtre Libre, il n’y a pas d’allée centrale. Eh bien, ils ont déplacé tous les sièges ! J’étais très flatté, très honoré et je les en remercie ! Ils ont compris que ce n’était pas un gadget ! À la première du Libre, comme celle de l’Antoine, j’étais en larmes au fond de la salle en me disant : « C’est dingue ! » C’est plein à craquer et c’est standing ovation tous les soirs ! C’est génial !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Le cercle des poètes disparus de Tom Schulman (d’après le film produit par Touchstone Picture écrit par Tom Schulman)
Théâtre Libre
4 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Jusqu’au 31 décembre 2024
Durée 1h30