Toute de noir vêtue, celle qui cet été a incarné Phèdre aux Arènes de Cimiez, dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, est installée confortablement dans les grandes banquettes du Café Français, à Bastille. Un café, noir, un verre d’eau. Son regard passe d’une table à l’autre, observe les gens alentour. En ce matin de novembre, on est frappé par la lumière intense et joyeuse qui émane d’elle. Brune, solaire, débordante d’énergie, Ève Pereur croque la vie avec une belle insouciance.
Des sketchs et un tutu
Haute comme trois pommes, elle amuse déjà la galerie. « Quand j’étais enfant, à l’école, se souvient-elle, je préparais à chaque récré des sketchs que mon prof de l’époque acceptait que je présente une fois par semaine à toute la classe. C’était devenu une sorte de rituel. Un jour, lors d’une kermesse, elle m’avait même réservé un créneau pour que je passe l’une de mes saynètes devant toute l’école. C’est elle d’ailleurs, qui a convaincu ma mère de m’inscrire au Conservatoire de Suresnes. » Les dès sont jetés. C’est sur les planches que ses pas l’entraînent.
À 11 ans, elle quitte les Hauts-de-Seine pour le Val-d’Oise. Elle est toujours animée de la même flamme. La danse classique jusqu’à ses dix-huit ans, puis, dès le lycée, elle intègre l’option théâtre. « Je pense que c’est surtout le tutu qui m’a attirée. J’ai suivi des cours de danse classique et je n’aimais pas trop le côté autoritaire. Au théâtre, où je me suis sentie plus libre et j’ai toujours eu la passion des mots. »
Les prémices
Le Bac en poche, elle suit des études en Lettres modernes, tout en continuant à pratiquer le théâtre. « La Fac, comme pour beaucoup d’apprentis comédiens, c’est surtout pour rassurer les parents, mais j’avoue avoir beaucoup aimé. J’y ai eu un sentiment étonnant de liberté. Et comme j’étais au conservatoire de Cergy en même temps, j’avais un cursus adapté. C’était stimulant et épanouissant. »
2014 est une année clé. Elle intègre la classe CEPIT de Coco Felgeirolles. « C’est ma première rencontre importante. Je crois qu’elle m’a tout appris et m’a permis d’appréhender toutes les facettes possibles. Cette actrice géniale est aussi une grande pédagogue. Tous ses élèves l’adorent. J’ai eu beaucoup de chance, parce qu’après avoir été reçue, elle m’a avoué que je n’avais pas été très bonne à l’audition, mais qu’elle avait vu que j’avais du potentiel. J’avais choisi un extrait de La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, et pour elle j’étais plutôt la mauvaise âme, car ce que j’avais présenté était trop sage et ne correspondait pas à ma nature. Je n’avais pas été assez percutante. »
Une nature
Débordante d’énergie, Ève Pereur n’a pas la langue dans sa poche et mène sa barque avec dextérité. Plus comique que tragédienne, il y a du Sophie Desmarets ou du Marie-Anne Chazel en elle. Si elle excelle chez Marivaux, elle habite à merveille les vers de Racine. Ingénue parfois, volubile souvent, elle brûle de mille feux et habite intensément la scène. Alors qu’elle termine sa formation à l’ERAC, elle joue au Festival d’Avignon, Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de Gurshad Shaheman. « Quelle expérience incroyable, un rêve éveillé. C’était la première fois que je participais à une vraie création. Ce qui me fascine, chez Gurshad, et avec Lucien Gaudion, son collaborateur, c’est qu’ils savent mettre de la poésie partout. C’est magique. Et selon lui, c’est nous les artistes qui avons ce pouvoir, en acceptant notamment de montrer nos fragilités. »
Elle est aussitôt repérée par Muriel Mayette-Holtz qui l’engage comme comédienne permanente du TNN. « C’était fascinant de travailler avec elle. Elle est à l’écoute de nos envies, de nos désirs d’artistes. Au début, elle me confiait les rôles de jeunes premières. Un jour, j’en eu assez. Je lui ai demandé de me distribuer dans d’autres rôles. C’est ainsi que j’ai pu interpréter les servantes. Je me suis régalée. »
Aux côtés de l’ancienne administratrice de la Comédie Française, la jeune comédienne poursuit son apprentissage. Elle est de toutes les créations : de la trilogie de Goldoni aux Fourberies de Scapin, en passant par Bérénice, L’Épreuve, Phèdre, elle navigue au plateau comme un poisson dans l’eau. Facétieuse, drôle, touchante ou poignante, elle s’empare des mots et des rôles avec un bel appétit. « Muriel est comme un mentor pour moi. Elle m’a donné une technique de travail. C’est une des personnes qui m’a le plus fait progresser dans mon métier. Je lui dois beaucoup. »
Une Mouette est née
Quatre ans passent. Il est temps pour elle de voler de ses propres ailes. À peine le temps de se retourner que Stéphane Braunschweig l’appelle pour interpréter le rôle de Nina dans La Mouette.
La rencontre s’est faite, alors qu’il présentait Andromaque aux Arènes de Cimiez dans le cadre du Festival de Tragédie. Muriel Mayette-Holtz, lui présente la comédienne. Quelques jours plus tard, Claude Duparfait et Annie Mercier, qui l’avaient comme élève, lui parlent de la jeune femme.
Il n’en fallait pas plus pour piquer sa curiosité. « Je me souviens, j’étais dans mon lit quand il m’a appelée. Je n’étais absolument pas préparée. Quand il m’a dit son nom et qu’il voulait me proposer le rôle de la Mouette, j’ai eu un coup de chaud. J’avoue avoir hésité car j’étais déjà engagée avec Édouard Signolet. C’était un crève-cœur de ne pas faire son projet car j’admire sa personne et son travail, mais je ne pouvais pas refuser l’un des rôles féminins les plus emblématiques de Tchekhov au Théâtre de l’Odéon. »
Aux ateliers Berthier puis à l’Odéon, Ève Pereur répète aux côtés de Jules Sagot, Chloé Réjon, Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Lamya Regragui Muzio et Jean-Philippe Vidal. « C’était fascinant de rejoindre cette troupe incroyable. Stéphane travaille sa direction d’acteurs comme une partition musicale. Nous sommes ses instruments. C’est assez organique. Le plus dur, finalement, est de se retrouver dans la salle mythique de l’Odéon. Au début, je n’osais pas regarder la salle. C’était purement inconscient. Puis Stéphane, m’a demandé de me retourner. Et là, le petit vertige, de voir tous ces bustes, ces noms qui t’entourent et te regardent, c’est vertigineux. »
Accompagné par sa dramaturge Anne-Françoise Benhamou, qui travaille tout particulièrement les rapports homme-femme et ceux entre les générations pour une vision plus féministe et plus contemporaine des œuvres qu’il travaille, Stéphane Braunschweig mène tambour battant une mise en scène qui cherche à faire sens au temps présent. Pour s’en rendre compte et se laisser séduire par le talent brut et intense d’Ève Pereur, rendez-vous à l’Odéon. La Mouette vous attend !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Mouette d’Anton Tchekhov
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris
du 7 novembre au 33 décembre 2024
Durée 2h20
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
traduction d’André Markowicz & Françoise Morvan
avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Ève Pereur, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jules Sagot, Jean-Philippe Vidal
collaboration artistique – Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie – Alexandre de Dardel
costumes de Thibault Vancraenenbroeck
lumière de Marion Hewlettson & Xavier Jacquot
maquillage, coiffures – Émilie Vuez
assistant à la mise en scène – Jean Massé
réalisation du décor – Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe