Qu’est-ce qui a motivé la création de ces assises ?
Cyril Le Grix : Je me suis présenté à la présidence du Syndicat national des metteurs et metteuses en scène (SNMS) avec l’envie d’un projet fort qui puisse donner au syndicat un poids national, donc quelque chose en lien avec l’ensemble des territoires. Il me semblait important de nous retrouver en tant que metteurs et metteuses en scène, de discuter de notre métier et de nous poser des questions ensemble, et au vu des fractures territoriales, cela ne pouvait pas se faire autrement qu’à travers une grande opération nationale qui prendrait place à travers les régions, dans la continuité de l’histoire de décentralisation du théâtre en France.
Y avait-il une urgence à le faire aujourd’hui plutôt qu’il y a dix ans, par exemple ?
Cyril Le Grix : Cela fait suite à ce que nous avons traversé avec le Covid, qui a entraîné de forts questionnements autour de nos pratiques, avec les polémiques quant à la place des artistes et notre caractère « essentiel » ou non. La pandémie nous a beaucoup isolés. Les assises étaient aussi un moyen d’offrir un espace et un temps, jusqu’alors manquants, pour nous réunir et échanger.
Comment ces assises s’inscrivent-elles dans les territoires ?
Cyril Le Grix : Dès le départ, il était important d’associer un maximum de partenaires, qu’il s’agisse d’organisations nationales ou régionales, afin d’irriguer au maximum les territoires. On a fait un premier tour de France pendant un peu plus d’un an, pour rencontrer les personnes et déceler les endroits où il y avait une possibilité de convergence. Il y a aussi eu une nécessité écologique : nous avons choisi des théâtres où pouvaient converger un maximum de participants dans un rayon de deux heures en voiture. La nature de ces lieux a fait l’objet d’un vrai choix : il y a des CDN, des théâtres de la ville, des pôles européens de création ou un lieu comme La Friche, à Marseille, qui relève d’une autre configuration.
À qui ces discussions s’adressent-elles ?
Cyril Le Grix : Ce ne sont pas les assises du théâtre, mais les assises de la mise en scène des arts vivants. On y a donc associé les arts de la rue, le cirque, les arts de la marionnette, etc. Nos pratiques ne sont pas les mêmes, mais nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Le syndicat porte l’opération, mais ce n’est pas une opération syndicale. Elle se veut transprofessionnelle, et inclut des collaborateurs qui vont de la technique à l’administration — avec LAPAS par exemple — en passant par les directeurs et directrices de lieux, tous réunis autour du sujet de la mise en scène.
Au tiers de l’expérience, qu’est-ce qui émerge des enjeux, des revendications et des transformations souhaitées par le métier ?
Cyril Le Grix : Nous sommes encore loin du bilan, et je ne souhaite en rien orienter la suite des discussions, mais pour l’instant, sur trois éditions, on observe des récurrences. Dans le désordre, il y a l’idée que la temporalité des processus de création — le temps de recherche et d’expérimentation, le travail en amont — est très mal identifiée, en dehors des artistes eux-mêmes, par les financeurs et le reste de l’écosystème, avec un impact sur la chaîne de production et de diffusion. Est aussi constamment pointée du doigt la lourdeur administrative, dont pâtit l’artistique. Il y a une demande forte pour des outils numériques qui permettraient d’unifier les démarches. On peut également souligner les questions de diffusion, très présentes à l’esprit des metteurs et metteuses en scène : ceux-ci sont conscients d’être dans une fuite en avant de productions, alors que la première rencontre avec le public n’est encore qu’une étape dans la vie du spectacle et que le temps long de la diffusion permet de faire aboutir une œuvre.
Ensuite, des questions se posent sur la formation. Sont pointés du doigt le manque de places en formation initiale et l’absence de formation continue, pensée pour les metteurs en scène au long de leur vie. Demeure aussi la question de la permanence artistique, et l’idée de pouvoir créer avec les mêmes équipes, dans une certaine continuité, avec plus de visibilité. Le terme de « discontinuité » du travail revient dans les conversations, qui n’est pas une critique du système d’intermittence, mais relève également d’une envie de temps long dans le travail. Enfin, la nouvelle génération réclame de pouvoir travailler dans un climat de bienveillance et porte une grande attention à la responsabilité de l’artiste vis-à-vis de ses collaborateurs, avec la volonté de créer un climat de travail respectueux pour toutes et tous.
Comment ces demandes vont-elles être entendues ? De quelle écoute politique bénéficient ces assises ?
Cyril Le Grix : Les assises font un travail de légitimation. Nous pourrons ensuite dire : voici nos priorités et nos chantiers, et ceux-ci seront légitimés par la parole des artistes réunis sur l’ensemble des territoires. Il y a le temps des assises et il y aura le temps du travail. Les problématiques soulevées ne se travaillent pas de toutes de la même manière : certaines sont d’ordre juridique, d’autres d’ordre réglementaire, etc. Il s’agit de aussi rendre visible et audible ces revendications auprès des organisations, de l’institution, de l’État, des ministères ou des politiques auxquelles elles touchent.
Le métier de la mise en scène souffre d’écarts abyssaux dans les conditions matérielles et les modes d’exercice. Qu’est-ce qu’un metteur en scène d’une petite compagnie en zone rurale a à voir avec Thomas Jolly, qui était invité aux premières assises, au Théâtre du Nord ?
Cyril Le Grix : Que l’on dirige un théâtre national ou une compagnie à petits moyens en milieu rural, il existe beaucoup de préoccupations en commun, notamment sur la question du statut ou du droit d’auteur. Il y a partout cette notion que l’on fabrique une œuvre artistique, qui amène des nécessités statuaires et réglementaires particulières. La prise en compte de l’objet qu’ils sont en train de créer est finalement assez proche d’un artiste à l’autre. Ensuite, le rapport au public est un enjeu important pour tous : pour qui je crée, et comment puis-je établir un rapport direct avec le public ?
Comment se présentera la journée conclusive, prévue pour janvier au CNSAD ?
Cyril Le Grix : Il est encore un peu tôt pour donner des détails précis. Ce qui est certain, c’est que l’objectif principal sera de déterminer comment présenter la synthèse de ces travaux au public ciblé, car il s’agira de restituer ces échanges de manière pertinente et accessible. Nous souhaitons offrir un espace où leur travail et leurs réflexions pourront être partagés avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Ce format permettra aussi à nos partenaires de s’exprimer. Beaucoup d’entre eux ont participé activement aux éditions précédentes et pourront apporter leur perspective. Cette confrontation des points de vue, qu’ils viennent d’organisations d’employeurs, d’institutions ou d’autres milieux, sera enrichissante pour tous. Nous prévoyons donc des prises de parole, des tables rondes pour approfondir les thèmes abordés, et nous préparons des livrables qui consigneront les résultats de ce travail.
Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban
Assises nationales de la mise en scène
Du 17 septembre au 20 janvier 2024 dans huit lieux partenaires