Avec Les deux déesses, Déméter et Perséphone, une histoire de mère et fille, l’autrice et metteuse en scène Pauline Sales, touche au cœur. Avec une belle intelligence, elle y questionne ce lien souvent tendu avec celle qui nous a donné la vie. Ce fil d’Ariane que l’on rêve de couper et qui, même au delà de la mort, ne cesse de nous relier.
Les dieux de l’Olympe n’ont pas fini de nous instruire
Les mythes sont des constructions imaginaires qui proposent « une explication de certains aspects des fondements du monde et de la société qui l’a forgée. » Les siècles passant et les problèmes demeurant, ils ne cessent de nous interpeller et les artistes n ‘ont pas fini de s’en emparer. En réveillant celui de Déméter et de sa fille Perséphone, Pauline Sales crée une œuvre moderne. En abordant la jeunesse, la vieillesse, la maladie, la mort, le viol, le féminisme, le vivre ensemble et l’écologie, l’autrice et metteuse en scène célèbre la vie.
Fille du Titan Chronos, Déméter a pour frère Zeus, Poséidon et Hadès. S’il n’est pas besoin de rappeler qui sont les deux premiers, le troisième n’est autre que « le maître des enfers ». Déméter, elle, est considérée comme « la mère de la Terre ». Déesse de l’agriculture et des moissons, c’est grâce à ses talents que les êtes humains trouvent dans la nature de quoi se nourrir. Dans le monde fermé de l’Olympe, les Dieux se moquaient bien des liens consanguins ! Zeus lui fit une enfant, prénommée Perséphone, connue aussi sous le nom de Koré. Lorsque son oncle Hadès l’enlève et l’épouse, elle devient déesse du « monde souterrain ».
Sa mère, inquiète de sa disparition dans les enfers, part à sa recherche et tente de la faire revenir. Tout à sa peine, Déméter néglige la terre devenue aride et les Dieux ne perçoivent plus leurs offrandes. Zeus, bien embêté par cette situation, trouve un terrain d’entente : Perséphone restera sous terre quatre mois par an et reviendra près de sa mère les autres huit mois. Ainsi sont nées les saisons !
Une histoire de mémoire
Le spectacle démarre par une vielle femme clouée sur son fauteuil roulant. L’image de l’EHPAD surgit fortement. Comme sa raison flanche, il faut stimuler sa mémoire auditive par des musiques et des sons. Sortant de sa léthargie, la vielle dame aux cheveux blancs se souvient et déroule le fil de sa vie, qui part d’un viol subit à son adolescence et se termine par la main tendue de sa fille pour l’accompagner dans son ultime voyage !
Naviguant entre le mythe et notre époque, Pauline Sales enchaîne, avec une belle fluidité, les nombreux tableaux qui constituent son récit. Après son viol, Déméter décide de partir vivre loin des siens. Devenue « une mère solo », vivant dans ce qui ressemble à une communauté alternative, elle surprotège sa fille. Ce qui a le don d’agacer cette dernière devenue adolescente. Mais on n’échappe pas à son destin. Sa fille est enlevée par un prédateur qui la séquestre. Désespérée, la mère part à sa recherche à travers le monde. Mais quand elle retrouve sa fille, Perséphone n’est plus la même. C’est une femme qui a suivi son propre parcours. C’est ainsi que les petites filles finissent par prendre leur envol. Mais s’éloigne-t-on vraiment d’une mère ?
Une belle traversée d’émotions
Ce spectacle est foisonnant ! Pendant presque deux heures, Pauline Sales captive l’attention. Jouant sur les différents codes de jeu, avec juste quelques éléments et accessoires, elle déploie avec talent une machinerie théâtrale impressionnante. La poésie du texte trouve un bel écho dans ces musiques composées par Simon Aeschimann et les musiciens Mélissa Acchiardi, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache et Aëla Gourvannec. Ces derniers se révèlent, ainsi qu’Anthony Poupard, excellents dans les divers rôles qu’ils enchaînent.
Pour le rôle de Déméter âgée, cette mère de tous, il fallait une grande interprète ! Elizabeth Mazev est de cette grâce là. Avec son sens impressionnant de la rupture, elle fait vibrer les mots et les sentiments. Clémentine Allain incarne avec une belle force Déméter jeune. D’une grande sensibilité, Claude Lastère est formidable dans le personnage de Perséphone. L’ensemble forme une troupe au diapason pour faire résonner la poésie de Pauline Sales. Bravo.
Marie-Céline Nivière
Les deux déesses, texte et mise en scène de Pauline Sales
Spectacle créé le 5 novembre à Les Quinconces L’Espade – Scène national du Mans
Durée 1h50
14 et 15 novembre 2024 à La Halle aux Grains – Scène nationale de Blois (41)
20 novembre au 1er décembre 2024 au Théâtre Gérard Philipe – Centre dramatique national de Saint-Denis (93)
17 déc. 2024 à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (91)
19 déc. 2024 au Théâtre Jacques Carat, Cachan (94)
9 janv. 2025 à l’agglomération du Mont-Saint-Michel (50)
14 janv. 2025 à L’Estive, Scène National de Foix et de l’Ariège, Foix (09)
5 et 6 fév. 2025 à la MC2, Maison de la Culture de Grenoble (38)
Avec Mélissa Acchiardi (batterie, percussions), Clémentine Allain, Antoine Courvoisier (clavier), Nicolas Frache (guitare), Aëla Gourvennec (violoncelle), Claude Lastère, Élizabeth Mazev,Anthony Poupard
Musique de Mélissa Acchiardi, Simon Aeschimann, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache, Aëla Gourvennec
Scénographie de Damien Caille-Perret
Lumière de Laurent Schneegans
Son de Fred Bühl
Costumes Nathalie Matriciani
Maquillage et coiffures de Cécile Kretschmar
Travail chorégraphique d’Aurélie Mouilhade
Assistanat au son et régie son Jean-François Renet
Régie générale Xavier Libois, plateau Christophe Lourdais
Texte publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs