Dans une chambre où s’entrecroisent rêves, cauchemars et réalité, Ariane Mnouchkine convoque le monde, ses déshérences, ses incongruités, ses violences et ses abominations. Mêlant avec virtuosité et fantaisie les genres et les cultures, Le théâtre du Soleil, sa troupe créée en 1964, elle invite à une balade fantasmagorique, une tragi-comédie intense, totale entre barbarie et burlesque.
Le voyage commence bien avant de franchir les portes du Théâtre du Soleil. Des guirlandes électriques aux multiples couleurs habillent la façade, donnant à l’ensemble un air de fête. Puis, ce sont les odeurs des épices de quelques mets venus d’ailleurs qui envahissent nos narines. Les animaux lumineux accrochés aux cimaises du bâtiment, les meubles sculptés dans la plus pure tradition tamoule, font le reste. Paris n’est plus qu’un lointain souvenir. La sonnette retentit, il est temps de prendre place dans la salle refaite à neuf pour l’occasion. Un petit passage par les coulisses, où l’on peut voir les artistes se préparer, se maquiller, et c’est tout un monde qui s’ouvre à nous.
Dans un immense espace où toutes les pièces d’une maison sont réunies, des toilettes, au bureau, en passant bien sûr par la chambre, une dame d’un certain âge, Cornélia (extraordinaire Hélène Cinque), assistante du célèbre metteur en scène Constantin Lear, dort paisiblement sur un immense lit. Véritable double d’Ariane Mnouchkine, elle est réveillée par la sonnerie stridente d’un téléphone d’un autre âge ,en bakélite. C’est Astrid, l’administratrice de la compagnie un brin hystérique qui appelle de Paris. Alors que le prochain spectacle doit être présenté dans les prochaines heures aux autorités locales et aux représentants de l’Institut Français basé en Inde, le directeur a été arrêté par les autorités locales pour exhibitionniste. Maintenant, plus d’échappatoire, l’avenir de la compagnie repose sur les frêles épaules de la peu imaginative Cornelia.
Rapidement, le stress gagne la pauvre femme, prise de spasmes et de problèmes gastriques aiguës. Que faire ? En panne d’inspiration comme toujours, comme le souligne une comédienne envieuse, elle espère bien trouver dans le sommeil, au plus profond de ses rêves, matières à un spectacle innovant qui pourrait sauver de la ruine la singulière entreprise de son mentor, partir à la rencontre des autres cultures et notamment d’un théâtre traditionnel et populaire tamoul qui évoque par une suite de tableaux imagés et colorés les épiques épopées du Mahabharatha et du Ramayana : le Theru Kouthu. Très vite, entre songes et réalités, d’étranges créatures vont venir hanter son esprit, peupler ses rêves.
Bouleversée par les attentats de novembre 2015, incapable de rester en France, Ariane Mnouchkine décide de s’éloigner, de partir sur les traces d’un voyage entamé, il y a bien longtemps, au cœur de l’Inde. Elle embarque avec elle sa troupe. De cette étonnante initiative, va naître un spectacle fleuve intense et burlesque. Puisant dans l’actualité sombre d’un monde qui ne va décidément pas bien, elle invente un conte désopilant, humain, vibrant où l’on brocarde les méchants, comme lui suggère lors d’un rêve onirique William Shakespeare.
Se moquant de Daesh et des ses combattants gauches, égratignant le gouvernement très machiste d’Arabie Saoudite incapable de donner plus de droits aux femmes, ridiculisant les vieux réflexes patriarcaux et ancestraux, la grande dame du théâtre s’amuse comme une enfant espiègle dressant un portrait caustique d’une époque qui va à sa perte tant au niveau écologique, géopolitique que sociétal, signant une farce épique entre rires et larmes, entre tradition et modernité, un moment de théâtre total envoûtant, qui pèche parfois par excès, par surabondance, mais c’est aussi cela qui fait la singularité la beauté du spectacle vivant, un art nécessaire à défendre coûte que coûte.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Une chambre en Inde, une création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre ; en harmonie avec Hélène Cixous, avec la participation exceptionnelle de Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran.
Théâtre du Soleil
La cartoucherie
route du Champ-de-Manœuvre
75012 Paris
du mercredi au vendredi à 19h30, le samedi à 16h & le dimanche à 13h30
durée 3h30 avec un entracte de 15 minutes
Le spectacle à été créé le 5 novembre 2016 à la Cartoucherie.
une création collective du Théâtre du Soleil
dirigée par Ariane Mnouchkine
avec la musique de Jean-Jacques Lemêtre
en harmonie avec Hélène Cixous
avec la participation exceptionnelle de Kalaimamani Purisai Kannappa et de Sambandan Thambiran
Avec Hélène Cinque, Thérèse Spirli, Vladimir Ant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Shaghayegh Beheshti, Dominique Jambert, Martial Jacques, Samir Abdul Jabbar Saed, Maurice Durozier, Sébastien Brottet-Michel, Judit Jancsó, Sylvain Jailloux, Eve Doe Bruce, Nirupama Nityanandan, Agustin Letelier, Taher Baig, Wazhma Tota Khil, Vijayan Panikkaveettil, Farid Gul Ahmad, Andrea Marchant, Aref Bahunar, Omid Rawendah, Shafiq Kohi, Sayed Ahmad Hashimi, Seear Kohi, Ghulam Reza Rajabi, Seietsu Onochi, Man-Waï Fok, Arman Saribekyan, Taher Baig, Aref Bahunar, Samir Abdul Jabbar Saed, Naweed Kohi, Palami Murugan, Seear Kohi, Alice Milléquant, Quentin Lashermes
Et les musiciens et chanteurs Thérèse Spirli, Marie-Jasmine Cocito, Aziz Hamrah, Ya-Hui Liang, Andrea Marchant, Quentin Lashermes, Alice Milléquant, Man-Waï Fok
Le chœur : Toute la troupe
Les Katyakarans Shafiq Kohi et Arman Saribekyan en alternance avec Eve Doe Bruce et Dominique Jambert
La musique du spectacle est l’œuvre de Jean-Jacques Lemêtre qui l’interprète, avec l’aide de Ya-Hui Liang et Marie-Jasmine Cocito.
Le maître et dépositaire de l’art du Terukkuttu : Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran
Son assistant : Palani Murugan
La professeure de chant carnatique : Emmanuelle Martin
Le professeur de mridangam (percussion) : Kesavan Narmapallam Arumuga Gowder
Le professeur de mukhaveenai (hautbois tamoul) : Sri Thirugnanam
Ambassadrice et ambassadeur auprès du Royaume du Terukkuthu, interprètes et traducteurs de tamoul : Koumarane Valavane et Nirupama Nityanandan, qui est aussi répétitrice de tamoul et de danse.
Les lumières du spectacle sont l’œuvre de Virginie Le Coënt, Lila Meynard et Geoffroy Adragna, sous le regard expert et bienveillant de Elsa Revol.
Les sons ont été conçus et récoltés par Therèse Spirli, Marie-Jasmine Cocito et Jean-Jacques Lemêtre. Ils sont gouvernés par Thérèse Spirli.
Les costumes du spectacle sont l’œuvre de Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran, avec l’aide de Élodie Madebos, Mohd Haroon Amanullah, Elisabeth Cerqueira, Simona Grassano, Sarah Bartesaghi–Gallo.
Les peintures et patines du décor, des meubles et du sol sont l’œuvre d’Elena Antsiferova.
Les coiffures et perruques sont de Jean-Sébastien Merle.
Assistantes successives à la mise en scène : Hélène Cinque, Lucile Cocito, Suzana Thomaz, Nadia Reeb
La régie : Alice Milléquant, Quentin Lashermes
Crédit photos © Michèle Laurent