Le suicidé d'après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne © Vincent Poncet, coll. Comédie-Française
© Vincent Poncet, coll. Comédie-Française

Le suicidé de Nicolaï Erdman : un boulevard à marche forcée au Français 

En adaptant la pièce maudite du dramaturge russe, considérée comme une œuvre majeure de la Russie communiste, Stéphane Varupenne signe une galerie de portraits grand-guignolesques et peine à en donner toute la dimension politique.

Quelques notes de musique résonnent dans le noir. Au loin, Sémione (Jérémy Lopez), chômeur patenté, réveille en pleine nuit sa femme Macha (Adeline d’Hermy) pour une histoire de saucisson. Elle pousse des hauts cris, lui semble ne pas comprendre son énervement. La conversation tourne à l’absurde. On se croirait dans un boulevard à la Feydeau. Mais derrière les portes qui claquent, les quiproquos et les bruits de châsses d’eau se dessine une autre réalité, une farce noire qui est celle d’un peuple oppressé par le pouvoir soviétique. 

Nous sommes fin 1928. L’URSS est en passe de basculer dans la terreur. Nicolaï Erdman vient à peine de publier sa pièce, véritable brûlot contre l’ère stalinienne, qu’elle est censurée par les autorités. Il faudra attendre 1969 pour qu’enfin elle soit éditée en Allemagne et ne soit jouée à Moscou qu’en 1990. Qu’y a-t-il de si subversif dans cette œuvre pour mériter une telle interdiction ? 

Le suicidé d'après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne © Vincent Poncet, coll. Comédie-Française
© Vincent Poncet, coll. Comédie-Française

Écrit à la façon d’un vaudeville, Le suicidé n’en est pas moins une critique au vitriol de toute la société russe de l’époque. Brocardant autant le pouvoir que les opprimés, les bourgeois que les petits commerçants, elle donne à voir la nature humaine dans ce qu’elle a de plus vile. En quête d’un héros, toutes les causes perdues, que le régime totalitaire de Staline a mis aux abois, se liguent pour profiter du suicide annoncé d’un pauvre hère, qui n’a rien demandé d’autre que de jouer de l’hélicon pour gagner sa vie et mettre sa femme et sa belle-mère (Florence Viala) à l’abri. 

Tels des vampires, l’intellectuel (Serge Bagdassarian), le boucher (Christian Gonon), la restauratrice (Julie Sicard), le voisin veuf très porté sur la chose (Clément Bresson), le coursier de la police militaire (Clément Hervieu-Léger), la bourgeoise (Anna Cervinka), l’écrivain (Yoann Gasiorowski), le prêtre (Adrien Simion), la fille de joie (Léa Lopez) et la petite vieille (Sylvia Bergé) se jettent sur leur proie et la harcèlent jusqu’à lui mettre le canon dans la bouche. 

Le suicidé d'après Nicolaï Erdman, mise en scène de Stéphane Varupenne © Vincent Poncet, coll. Comédie-Française
© Vincent Poncet, coll. Comédie-Française

Texte mythique, auréolé de scandales, Le Suicidé, qui s’invite sur les plateaux des théâtres français ces dernières années, faisant aussi écho à la politique totalitaire de Poutine, n’a rien perdu de sa force corrosive et de son génie absurde. Plus enlevée, la nouvelle traduction de Clément Camar-Mercier creuse les contradictions et met en exergue les fausses pistes qui fourmillent dans cette farce noire à l’humour noir russe follement acéré. 

Pourtant, comme le dit dans son oraison funèbre notre enfantin coursier, « il y a quelque chose de pourri » salle Richelieu. Truffée de références à d’autres classiques, la première mise en scène en solitaire de Stéphane Varupenne joue la carte du burlesque, du grand-guignolesque jusqu’à noyer dans trop d’effets comiques le propos politique de l’œuvre. S’appuyant sur une troupe virtuose, le 528e sociétaire du Français lorgne autant sur la comédie musicale, en offrant une version française totalement décalée de Bohemian Rhaspody du groupe Queen, que sur un Labiche aux petits oignons – la scène d’ouverture étant un modèle du genre. 

Le talent est là. Rien à dire. Malgré tout, le texte de Erdman, qui fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française, résiste, refuse de plier et de se laisser dompter. On l’entend, bien sûr. Chaque saillie déclenche des salves de rires, mais cela ne suffit pas à emporter et à toucher. On reste comme en surface sans jamais parvenir à se laisser traverser par l’effroi du sous-texte. Quel dommage !


Le Suicidé d’après Nicolaï Erdman
Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris
Jusqu’au 2 février 2025
Durée 2h20 sans entracte

Mise en scène Stéphane Varupenne
Adaptation et dramaturgie de Clément Camar-Mercier
avec Sylvia Bergé, Florence Viala, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez
 ; Clément Hervieu-Léger, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, Clément Bresson, Adrien Simion ; Léa Lopez et le comédien de l’académie de la Comédie-Française Melchior
à la musique en live – Vincent Leterme, Véronique Fèvre et en alternance Hervé Legeay et Martin Leterme
Scénographie d’Éric Ruf assisté de Dimitri Lenin
Costumes de Gwladys Duthil
Lumières de Nathalie Perrier
Direction musicale et arrangements de Vincent Leterme
Son de Colombine Jacquemont T
ravail chorégraphique de Marlène Saldana
Collaboration artistique – Thibault Perrenoud

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com