Parallax de Kata Wéber, mise en scène de Kornél Mundruczó © Nurith Wagner-Strauss
© Nurith Wagner-Strauss

Parallax de Kornél Mundruczó : Beaucoup de bruit pour peu

Le metteur en scène et réalisateur hongrois présente à l’Odéon-Berthier un drame familial hyperréaliste où les destins de trois générations de Juifs budapestois se confrontent à la mémoire de la Shoah. 

À Avignon, En 2023, le metteur en scène hongrois avait mis K.O. les festivaliers avec Une femme en pièces, adaptation théâtrale du long-métrage écrit par sa compatriote et épouse Kata Wéber, produit par Martin Scorsese et diffusé en 2020 Netflix. Reprenant peu ou prou le même principe, Kornél Mundruczó porte sur les planches des Ateliers Berthier, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, le scénario du film Évolution, sorti en 2021. Tout comme le premier opus, l’œuvre s’inspire de la vie de la dramaturge, descendante de survivants de la Shoah. 

Parallax de Kata Wéber, mise en scène de Kornél Mundruczó © Nurith Wagner-Strauss
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Dans un appartement surchargé de souvenirs, situé en plein cœur de l’ancien ghetto de Budapest, Eva, une vieille dame aux cheveux blancs, exécute bon an mal an les tâches d’un quotidien morne et triste. La tête ailleurs, la mémoire qui flanche, elle fait chauffer au micro-onde une tasse vide, étale et jette ses médicaments. Rien ne va. En ce jour particulier, où le gouvernement hongrois s’apprête à lui remettre une médaille pour avoir survécu à Auschwitz, tout la perturbe. Entre anciens souvenirs et l’arrivée de sa fille Léna (Emőke Kiss-Végh), qui depuis longtemps a quitté le pays, son corps fatigué semble la lâcher. sa fille est venue avec la volonté de récupérer l’acte de naissance de sa grand-mère afin de prouver sa judéité, de se rassurer sur le fait que son combat de vie n’est pas vain. Un doute persiste, la tension monte, ce qui n’arrange en rien leurs relations

Plus tard, alors qu’elle vient de mourir, dans le même appartement que des trombes d’eau, sorties des placards, des murs et du plafond, auront tout ravagé, son petit-fils Jonas (Erik Major) organise en guise de veillée funèbre une partouze gay. Refusant les diktats d’une société prompte à étiqueter les individus selon leur préférence sexuelle et à persécuter tous ceux qui ne rentrent pas dans la norme, il exhibe et offre son corps nu sans pudeur sans honte. Pieds de nez à un régime homophobe, rejet du poids sacrificiel que sa mère veut à tout prix lui imposer et d’une religion dont il se sent totalement étranger, il cherche son propre chemin sans pour autant le trouver. 

Parallax de Kata Wéber, mise en scène de Kornél Mundruczó © Nurith Wagner-Strauss
© Nurith Wagner-Strauss

Variant avec une belle habilité les points de vue et l’art de faire du théâtre hybride, Kornél Mundruczó invite le spectateur au plus près des personnages et des émotions qui les traversent. Caméra au poing et images retranscrites sur grand écran des deux côtés d’une scène cachée derrière une cloison, il montre l’errance psychique d’Eva, incarnée avec justesse par Lili Monori, l’une des vedettes du théâtre Thalia dans les années 1970 et figure du cinéma hongrois indépendant. À la manière de Julien Gosselin, tout nouveau directeur de l’Odéon, son art trouve toute sa force et son intensité dans un hyperréalisme vertigineux, et ce même quand la vidéo laisse sa place au théâtre pur. 

Aucun détail n’est laissé au hasard. Chaque bibelot à une histoire. Et ils sont clairement nombreux dans cet intérieur de grand-mère. Il en va de même pour le jeu des comédiens. Chaque scène a la patine du vécu, aucun sentiment ne semble feint. Les actions défilent plus vraies que nature. Sodomie, fellation, prise de coke, larmes, colère ou apitoiement, tout se passe là, juste devant les yeux d’un public sous le choc. Pourtant, l’art dramatique résiste. Tout semble étonnement survolé.

Malgré les prises de position des uns et des autres, que ce soit celle de l’homo réac à l’aise dans son placard, celle d’une jeunesse qui se revendique fluide, ou celle de cette fille obnubilée par ses origines juives qu’elle cherche par tous les moyens à certifier, un léger goût d’inachevé plane sur ce drame en trois actes. Les silhouettes sont ébauchées, les situations posées là, tentant de rentrer à marche forcée dans un cadre politique sans que n’en jaillisse autre chose que du banal, de l’ordinaire. 

Les sujets ne manquent pourtant pas. Puissants, sensibles, évocateurs et dérangeants, ils devraient attraper le spectateur, le confronter à ses préjugés et l’obliger à questionner ses certitudes. Il n’en est rien ou presque. Que faire de son identité juive, de sa sexualité dans un monde où antisémitisme et homophobie explosent sous le regard complaisant d’une partie des politiques et de la population ? Loin d’en faire le tour, Kornél Mundruczó et Kata Wéber n’en esquissent qu’une infime ébauche théâtrale.


Parallax de Kata Wéber
Les Ateliers Berthier
Odéon – Théâtre de l’Europe dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
1, rue André Suares
75017 Paris
Durée 1h50 environ

mise en scène de Kornél Mundruczó / Proton Theatre
de et avec
 Soma Boronkay, Emőke Kiss-Végh, Erik Major, Bence Mezei, Csaba Molnár, Lili Monori, Roland Rába, Sándor Zsótér
dramaturgie
 de Soma Boronkay, Stefanie Carp
scénographie
 de Monika Pormale
costumes
 de Melinda Domán
lumière
 d’András Éltető
musique
 d’Asher Goldschmidt
chorégraphie de
 Csaba Molnár
collaboration artistique
 Dóra Büki
assistant à la mise en scène
 Soma Boronkay

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