Impasse de Mufutau Yusuf © Patricia Cassinoni
© Patricia Cassinoni

Impasse de Mufutau Yusuf, duo de corps anonymes

Présenté dans le cadre des Premières parties de la Maison de la danse, ce duo à fleur de peau du chorégraphe irlandais d’origine nigériane évoque autant les corps en migration que la dure réalité du regard de l’autre. 

Au centre d’un décor immaculé, des sacs rayés en nylon sont empilés. Alors que des enceintes une musique électro s’échappent, lentement, la salle sombre dans le noir. Subrepticement, une vibration, à peine une ondulation, semble les parcourir. Étrange épouvantail ou singulier personnage de carnaval, l’inanimé monticule de plastique prend vie.

Mouvements saccadés, gestes empruntant au folklore, il traverse le plateau de part en part, multiplie les diagonales, revient au plus près des spectateurs, avant de rejoindre le fond de mur de papier qui sert de fond de scène. Refusant toute cohérence, acceptant toute filiation, il multiplie les embardées, les enchaînements « start and go » avant de s’échapper tel un feu follet dans les coulisses et de disparaître dans le noir.

Lumière zénithale, côté cour, deux silhouettes – Mufutau Yusuf et Lucas Katangila – apparaissent de dos. L’une est vêtue d’une tenue en patchwork de tissu sombre, l’autre, nue et musculeuse. Corps soudés, fragiles, la première sert de béquille à l’autre. L’entraide est de tous les mouvements. À chaque craquement, chaque bruissement, un muscle se plie, un autre se déplie. La peau se détend par endroits et se tend à d’autres. Les postures se succèdent, toujours sur le fil, et se jouent des équilibres. 

Le tempo s’accélère. La partition devient répétitive. Courant après des chimères ou des fantômes, fuyant quelques tragédies, les deux hommes, dont les visages ne sont que rarement visibles, calquent leur pas l’un sur l’autre, parfois dévient de leur route pour mieux se retrouver. Ballet des anonymes, Impasse est un récit en creux, l’histoire d’une migration vers d’autres horizons. La promesse d’un autre avenir, souhaité meilleur, ne sera pas au rendez-vous. Danse rageuse qui ne s’apaise que dans les bras de l’autre, la sémantique du chorégraphe oscille entre fureur brute et délicatesse ciselée. 

Modulant et hybridant les grammaires chorégraphiques pour inventer son propre style, Mufutau Yusuf multiplie les pas de côtés, les changements de cap. En cherchant à questionner son identité noire dans un monde blanc, il interroge tout autant les attentes presque convenues du public, les détourne dans ce duo sculptural à l’indicible beauté, qui interroge et dérange dans le bon sens. Troublant ! 

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