Il a suffi d’une fois, d’un cadre, d’un moment suspendu. L’an passé, lors de la triennale de Kigali au Rwanda, Gilbert Langlois, directeur du Tandem Scène nationale, découvre un matin au bord du lac Kivu, situé à la frontière du pays avec la république démocratique du Congo, un interprète et un musicien hors pair. Aussi habile avec les notes que les mots, Majnun envoûte au son de sa guitare et de sa voix.
Une rencontre fortuite
« Il y a dans la vie des heureux hasards, raconte-t-il. Quand Marie-Laure Wawrziczny m’a proposé de participer à la triennale, mon rôle se bornait à accompagner musicalement le cycle de lectures. Arrivé sur place, le comédien qui devait lire Peuple de l’eau, n’était finalement plus disponible. Elle m’a donc demandé si je pouvais le remplacer au pied levé. C’était d’autant plus fort que je suis issu de la même ethnie que Issa Damaan Sarr. Je suis comme lui originaire des îles du sine Saloum. »
Musicien et comédien, l’artiste sénégalais relève le défi. C’est d’autant plus troublant qu’il retrouve dans les poèmes, son histoire, ses racines, le quotidien de ses parents et de ses proches. C’est toute son enfance qui surgit dans ce texte qui évoque autant l’eau que les pêcheurs que les coutumes et croyances des Niominka. Suivant le fil nostalgique du lien qui l’unit à la terre de ses ancêtres, il entremêle aux mots en français du poète des chants de son propre cru en sérère.
« Il y a comme une évidence, explique Majnun. Tout a été très fluide. En rendant hommage à notre peuple, c’est comme si Issa Damaan Sarr me parlait directement. Cela résonnait en moi. J’ai donc logiquement pioché dans mon propre répertoire, d’autant qu’un certain nombre de mes chansons célèbre ma langue natale. Sa poésie explore l’histoire de Niodior, l’île où mes parents sont nés et ont grandi. Il y avait donc une sorte de lien fraternel avec ma musique qui s’inspire aussi de ce vécu, de ce qui me nourrit et m’inspire depuis toujours. Tout s’emboitaît parfaitement sans avoir eu besoin de recréer une nouvelle partitions. Je n’ai eu qu’à adapter. La rencontre s’est faite naturellement. »
Des mots, des notes, une harmonie
La proposition au lac Kivu a tellement marqué les esprits des spectateurs et des programmateurs venus à la rencontre des artistes et de la culture africaine, qu’il a semblé à Majnun et Marie-Laure Wawrziczny important de récréer une ambiance similaire entre terre et eau. « L’engouement pour cet impromptu a été immédiat, souligne-t-il. Nous avons eu très vite des propositions pour tourner cette lecture musicale. Il a donc fallu l’adapter. La forme présentée au Rwanda était assez brute. J’ai donc souhaité la retravailler, pour en affiner les contours et aller plus loin dans le maillage entre les mots et les notes. »
À la demande de Gilbert Langlois, Majnun vient passer deux semaines en résidence au Tandem. Il en résulte une première ébauche, plutôt aboutie du spectacle, présenté ces jours-ci à Arras. « Lors de la lecture au lac Kivu tous les ingrédients -le texte, la musique et la nature autour – étaient réunis pour que l’alchimie fonctionne. Il fallait donc trouver un moyen de reproduire cette atmosphère particulière, cette ambiance unique. De là, est née l’idée de revenir sur les bords du lac, de faire des images, de capturer des instants de vie, qui viendraient en arrière-plan souligner ce qu’évoquent les poèmes. »
Épuré tant dans la mise en scène que dans la mise en lecture, Peuple de l’eau est le récit d’une succession de rencontres, celle de Majnun avec Issa Damaan Sarr, celle des mots avec les notes, celle de la poésie avec un environnement naturel… Telle une caresse, la voix du comédien et musicien effleure nos sens. Parfois, l’on perd le fil du récit, la rêverie l’emporte et divague au plus près des paysages qui défilent derrière l’artiste. La magie de son chant rattrape un public conquis et attentif. Une soirée comme un rendez-vous fascinant avec un ailleurs où le fantasme laisse place à une réalité tout aussi belle !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Arras
Peuple de l’eau d’Issa Damaan Sarr
Livre publié aux Éditions Al Fàruq/Jimsaan (Sénégal)
Pris Ibrahima Sall 2022
Tandem
Théâtre d’Arras – salle des concerts
Jusqu’au 11 octobre 2024
Conception de Majnun et Marie-Laure Wawrziczny
avec Majnun
Regard extérieur – Lorie Gervais
Création musicale de Majnun
Vidéaste – Remy Ryumugabe
Costume de Moshions