Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

Le Misanthrope de Simon Delétang : du feu sous la glace

Pour sa première création en tant que directeur du Théâtre de Lorient, le metteur en scène limousin revient au classique en portant au plateau la comédie de Molière qui évoque les déboires de l’atrabilaire amoureux. 

La salle est comble. Revisite d’un classique et curiosité gourmande de découvrir le travail de Simon Delétang ont agi en synergie sur le public lorientais. Scénographe hors pair, le metteur en scène place l’action dans une sorte d’intemporalité, un « entre » monde. Costumes contemporains, murs avec moulures rappelant les intérieurs Grand Siècle, il imagine l’histoire d’Alceste comme celle d’une perpétuelle quête amoureuse et humaine. Anti-héros par excellence, notre bonhomme n’aime pas ses semblables, trop prompts à flatter les fats, à encenser les médiocres. Seul contre tous, il ne peut de se résoudre aux simagrées de la bienséance, aux règles d’une société qui préfère la flatterie à la franchise. 

Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
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En colère contre tous, le vaillant Alceste, interprété avec une rage peu contenue par Thibault Vinçon, n’entend céder aucun terrain à la mode des flagorneurs et des courtisans, quitte à se mettre tout le monde à dos, même son cher ami Philinte (Julien Chavrial, seul comédien permanent du Théâtre de Lorient). Son unique faiblesse, entaille béante à sa rigide résolution, la belle Célimène, à qui, la résolument contemporaine Leïla Muse prête ses traits. 

Pour un sourire d’elle, une caresse, il est prêt à tout. Les railleries glissent sur lui sans l’atteindre. Sa seule volonté :  la convertir à sa misanthropie, l’embarquer avec lui dans un désert, loin du monde et du commerce des hommes. C’est mal connaître la jeune veuve de vingt ans, que la solitude effraie. Vivante, vibrante, elle désire croquer la vie par tous les bouts, quitte à se brûler les ailes. Finalement, peu importe, elle est riche, libre, douée d’un esprit brillant autant que caustique. L’opprobre on s’en remet plus facilement que tomber dans l’oubli. 

Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
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Pour Simon Delétang, la comédie de Molière est un prétexte, elle cache en son sein une autre réalité. Alceste rêve d’absolu dans un monde imparfait, il ne peut être satisfait. Il ne comprend pas son époque. Seule Célimène a ce don. Enjôleuse, charmeuse, railleuse, elle se laisse porter par l’air du temps. Nonchalante, elle est la véritable  héroïne de la pièce, telle que l’envisage le metteur en scène. Fière, altière, elle se moque de la prude jalousie d’Arsinoé, épatante Déborah Marique, qui apporte par son jeu sciemment exagéré, le vent de drôlerie nécessaire pour ne pas que le spectacle sombre dans la neurasthénie. 

Bien qu’il brocarde les petits marquis – détonnant Yanis Skouta et impayable Romain Gillot – , qu’il surligne la bêtise d’Oronte – Gaël Baron –  et de son sonnet, Simon Delétang ne cherche pas le rire à tout prix, bien au contraire. Déplaçant le propos sur le terrain sociétal, il esquisse une analyse de mœurs des plus cinglantes. Mise en scène post #MeToo, il donne le beau rôle à la femme, certes elle s’offre à ses amants, mais garde le contrôle et le consentement. Les hommes sont ses pantins, elle en abuse jusqu’à ce que la corde lâche et que le boomerang lui revienne en plein tête. 

Encore fragile et tendu, le spectacle devrait gagner en patine. En s’’attachant davantage aux effets – la scène finale qui rappelle la célébrissime œuvre de Caspar David Friedrich et renvoie Alceste à son isolement volontaire, est d’une rare beauté – qu’aux personnages et à leurs relations, Simon Delétang travaille de manière tranchante un texte que beaucoup connaissent par cœur, sans pour autant que résonne rimes et vers. On entend, tout bien sûr, et même très bien, mais il manque encore du relief pour que les répliques fassent mouche.

Son Misanthrope très acéré gagne en percutant ce qu’il perd en rondeur, en fable et en comédie.  Curieux hasard, c’est la même pièce que son prédécesseur avait monté à son arrivée. Autre temps, autre vision, mais Molière reste quant à lui intemporel !


Le Misanthrope de Molière
Création
Théâtre de Lorient
salle Marie Dorval
Parvis du grand théâtre
56000 Lorient
du 10 au 15 octobre 2024
durée 2h

Tournée
5 et 6 mars 2025 à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc
12 et 13 mars 2025 à la Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme – Ardèche
26 au 28 mars 2025 à la Comédie de Colmar, Centre dramatique national Grand Est Alsace
23 et 24 avril 2025 au Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire
14 au 16 mai 2025 à la MC2: Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale

Scénographie et mise en scène de Simon Delétang
Avec
 Gaël Baron, Julien Chavrial, Romain Gillot, Fabrice Lebert, Déborah Marique,

Pauline Moulène, Leïla Muse, Yanis Skouta, Thibault Vinçon
Lumière
 de Mathilde Chamoux
Son
 de Nicolas Lespagnol-Rizzi
Costumes
 de Charlotte Gillard
Assistanat à la mise en scène
 – Fabrice Lebert
Collaboration à la scénographie
 – Adèle Collé
Construction du décor à l’atelier du
 Grand T

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