Comment est né ce projet hybride entre danse et art plastique ?
Olivia Grandville : UMAA – Unité Mobile d’Action Artistique – est avant tout une initiative qui s’inscrit dans le projet que je porte pour le CCN de La Rochelle. Il fait suite à un premier dispositif que j’avais pensé pour le Lieu Unique de Nantes. L’idée était de créer un Théâtre d’Opérations Chorégraphiques, un dispositif scénographique singulier où chaque semaine des artistes différents seraient invités à investir l’espace pour une performance, des conférences ou des rencontres. Baptisé Dance park, la scénographie en forme de skate park réalisée au LU permettait de mêler artistes et public. Le covid est passé par là et a mis un terme à l’aventure des T.O.C.
Assez vite, quand on a pu reprendre des activités artistiques, j’avais envie de reprendre ce principe, mais sous une forme plus légère et itinérante. Au même moment, je candidatais pour la direction du CCN, il était logique de l’intégrer au projet global et de poursuivre les collaborations avec d’autres artistes pour qu’ils s’en emparent.
Quel en est l’ADN ?
Olivia Grandville : L’essentiel est de pouvoir amener de la danse, des formes poétiques, du spectacle vivant contemporain dans des lieux qui manquent de structures d’accueils, de permettre à des gens qui ne vont jamais dans des salles de spectacles d’avoir accès à des formes artistiques et des disciplines qui leur sont éloignées. Et de le faire dans un endroit qui n’a rien d’institutionnel. C’est une manière de rebattre les cartes culturelles et d’imaginer une autre façon de faire ce que l’on appelle dans notre jargon de l’action culturelle. Ce sont des actionsque nous, artistes, faisons depuis longtemps en parallèle à nos spectacles, car finalement, c’est aussi au cœur de notre métier. Comment inviter les gens à éprouver de manière sensible et pas seulement dans un rapport de spectateur, ce qu’est que la danse et le rapport au corps. Tout ceci m’a amené à imaginer UMAA.
Pour ce projet, vous avez travaillé avec l’artiste néerlandaise Cocky Eek ?
Olivia Grandville : Je l’ai rencontrée grâce à Patrick Gyger, l’ancien directeur du Lieu unique, qui depuis a pris la tête de Plateforme 10 à Lausanne. Quand je présentais chez lui, Dance Park, j’ai évoqué l’idée de poursuivre l’aventure avec une structure de plus grande taille. Il m’a parlé du travail de Cocky. Parallèlement se déroulaient à la Cité de l’architecture & du patrimoine l’exposition Aerodream consacrée aux œuvres gonflables. Ce qui m’a tout de suite parlé, c’est le côté organique et léger de ses structures. On a pris aussitôt rendez-vous. Je suis allée dans son atelier en Hollande. Elle nous a montré une bulle qu’elle venait de réaliser. Cela correspondait parfaitement à ce que je voulais.
On lui a donc proposé de rejoindre le projet et de fabriquer le même type de construction, légère et facilement transportable. Il était important de réduire au maximum l’empreinte écologique, je voulais donc un objet plastique pas un chapiteau. Ce que j’aime dans cette bulle, c’est sa porosité, son aspect translucide, qui permet de travailler à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Du prototype imaginé par Cocky, qui se rangeait dans deux sacs et que l’on pouvait mettre dans une camionnette, à la structure finale qui est à découvrir au théâtre de la Cité internationale, il a fallu s’adapter aux règles de sécurité française. L’objet est du coup moins léger que prévu, moins maniable, mais en parfaite conformité avec les normes en vigueur.
Quel est son principal atout ?
Olivia Grandville : Je dirais le fait qu’il n’y a pas de plateau, pas de scène. Le rapport entre artistes et public est horizontal, et oblige le spectateur à opérer des choix en permanence. Le simple fait d’y entrer est une expérience en soi. On se sent protégé tout en gardant une forme de porosité avec le monde extérieur.
Quels types d’activités proposez-vous à l’intérieur ?
Olivia Grandville : Il y a tout un programme que nous avons préparé en amont. Une forme de charte qui va avec l’exploitation de cette unité mobile. Les propositions sont diverses, elles vont de l’atelier au spectacle, du concert à la performance en passant par l’installation. Certains modules ne durent que quelques minutes et on organise un roulement avec les spectateurs. D’autres sont des propositions plus longues, comme Twins que j’ai imaginé, et qui dure approximativement trois heures. C’est une pièce paysage pour cinq interprètes, qui se passe à la fois à l’intérieur de la bulle et dehors. Le public peut entrer et sortir comme il le souhaite. C’est et cela doit rester un espace de liberté.
L’ensemble des propositions est pensé pour le lieu. Comme le Koréoké, qui est un Karaoké chorégraphique où tout le monde est invité à danser. L’idée est aussi de mettre à chaque fois en place des contributions et des collaborations différentes, de travailler avec des artistes sur place. Dans le cadre de Transforme à Paris par exemple, Aurélie Charon, a adapté pour l’occasion son projet Radio Live. C’est un projet totalement évolutif et adaptable. Ce qui est primordial, c’est que cela reste participatif, festif et exigeant.
Au Théâtre de la Cité internationale, UMAA fait partie du programme Transforme de la Fondation d’entreprise Hermès. En quoi leur aide a été précieuse pour développer votre concept ?
Olivia Grandville : Leur aide financière est cruciale. Avec ce festival, elle soutient des spectacles qui n’auraient peut-être pas vu le jour dans une programmation traditionnelle de scène nationale. Mais il ne faut pas non plus oublier l’aide de la région Nouvelle Aquitaine et de l’État, qui eux aussi soutiennent le projet. C’est d’autant plus important pour UMAA que le projet à vocation par la suite d’aller vers des lieux beaucoup moins dotés, une autre économie va être à inventer à la rencontre d’un territoire qui n’aurait pas sans cette aide les moyens de les accueillir.
Plusieurs de vos pièces tournent à Paris cette saison. Qu’est-ce qui vous inspire ?
Olivia Grandville : Des rencontres, des gens, des histoires et des questions que je me pose et auxquelles je n’ai pas de réponses. Souvent,l’actualité me rattrape, des sujets me touchent ou m’obligent à m’interroger sur mes convictions. Quand je ne sais plus que penser, cela me donne envie d’explorer le sujet en faisant un spectacle. Je ne cherche pas à apporter une réponse, mais plutôt à partager mes questionnements.
Dans le cas de La Guerre des pauvres, j’avais envie de travailler à partir d’un texte. Depuis un moment, je suivais l’actualité d’Éric Vuillard, dont j’aime l’écriture. Je suis tombée sur ce court roman, qui avait en le lisant une dimension presque cinématographique. Il évoque le soulèvement, la résistance, on était en plein mouvement des gilets jaunes. Cela avait du sens de l’adapter au plateau, d’autant qu’en parallèle, je venais de voir au Jeu de Paume, une exposition sur les soulèvements en tout genre qui avait entièrement été imaginée par le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman. Toute cette matière textuelle et photographique a irrigué mon travail chorégraphique.
Pour Débandade, c’était le début de #MeToo. Je travaillais à cette époque avec des jeunes entre 18 et 22 ans. Je les sentais un peu perdus face à un mouvement féministe radical, un changement de paradigme quant au rapport homme-femme. J’ai eu envie de travailler avec eux leur vision de la masculinité aujourd’hui et la manière dont ils parlaient des femmes. Pour cette pièce, j’ai travaillé le sujet en creux et non frontalement. Chaque création est en fait très différente.
Aujourd’hui comment gère-t-on un CCN ?
Olivia Grandville : Nous n’avons pas tous les mêmes moyens. Il y a d’un côté les subventions et de l’autre l’argent que rapporte la compagnie. Il faut être très inventif et créatif pour continuer à développer des projets singuliers, tout en allant à la rencontre de différents publics et différents territoires. Quand je suis arrivée à la Rochelle, je me suis laissée le temps d’appréhender l’outil. J’avais des pièces qui tournaient et qui n’avaient pas encore rencontré tout leur public. Plutôt que de créer tout de suite une nouvelle pièce plateau, j’ai préféré produire l’UMAA et découvrir mon nouveau poste. Je ne rentrerai à nouveau en création que cette année. En étant à la tête d’un CCN, on a certes des avantages, c’est un peu plus facile de créer, mais aussi des obligations, produire d’autres artistes, les soutenir dans la diffusion notamment quand ils sont associés au projet. Cela oblige à une remise en question de notre manière de travailler. Les subventions ne nous laissent qu’une toute petite part de manœuvre quant à la création et la production. Il faut donc inventer constamment de nouveaux chemins, de nouveaux formats. Le fait que mes pièces tournent à Paris, cette saison, est une super opportunité. La diffusion entraîne la diffusion et c’est aussi en tournant que les pièces gagnent en qualité, c’est pourquoi la crise actuelle est terrible pour les artistes.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
UMAA – Unité Mobile d’Action Artistique d’Olivia Grandville
Mille Plateaux, CCN de La Rochelle – Festival Transform
Théâtre de la Cité internationale
21 A Bd Jourdan
75014 Paris
du 08 au 12 octobre 2024
Avec les artistes et collectifs : La Tierce, le Collectif Ès, Villeneuve & Morando, Zakary Bairi, I-Fang Lin, Matthieu Patarozzi, Ludovico Paladini, Éric Nebie, Pierre Pietri, Mai Ishiwata, Guillaume Marie, Emmanuel Gourmelin, Dominique Dijol, César Vayssié, Marie Orts, Aurélie Charon et Emma Prat
Tournée
15 au 22 janvier 2025 à La Comédie, scène nationale de Clermont-Ferrand
22 au 28 mars 2025 aux Subs, Lyon
16 au 24 mai 2025 au TNB, Théâtre National de Bretagne, Rennes
La guerre des pauvres d’Olivia Grandville
création 2021
Du jeudi 26 au dimanche 29 septembre 2024
À la MC93, Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Tournée
4 et 5 février 2025 à La Coursive, scène nationale de La Rochelle
8 au 13 février 2025 au Théâtre Vidy, Lausanne
Débandade d’Olivia Grandville
création 2021
16 au 19 octobre 2024 à Chaillot, Théâtre National de la Danse, Paris
30 novembre 2024 au Théâtre Liberté, scène nationale de Toulon
18 janvier 2025 à l’Équinoxe, scène nationale de Châteauroux
19 au 21 mars2025 au Bonlieu, scène nationale d’Annecy