Amélie Etasse et Clément Séjourné © Fabienne Rappeneau
Amélie Etasse et Clément Séjourné lors de l'ouverture des Gémeaux Parisiens © Fabienne Rappeneau

Amélie Etasse et Clément Séjourné, duo de choc pour un Fabcaro débridé

Aux tout nouveaux Gémeaux parisiens après un beau succès avignonnais, le duo donne vie, sur les planches, aux bulles du déjanté auteur de bande dessinée.

Amélie Etasse : C’est mon idée. Je cherchais depuis longtemps un texte à mettre en scène. Clément, qui est un féru de bande dessinée, m’a initiée à cette forme d’expression artistique que je ne connaissais que très peu. J’y ai pris goût, et tout particulièrement du travail de Fabcaro. Son univers absurde et décalé m’a tout de suite plu.

Clément Séjourné : Fabcaro, je l’ai découvert avec Zaï Zaï Zaï. Son écriture m’a séduit et fasciné. Il y a quelque chose d’assez nouveau dans son approche de la bande dessinée. Elle est très tranchante, très vive et très absurde, tout en étant drôle et satirique. Il a vraiment une plume incroyable. 

Amélie Etasse : Quand Formica est sorti en librairie, je l’ai achetée immédiatement et l’ai dévorée. Il y avait tous les ingrédients que je cherchais, l’absurde, l’humour et une folle histoire de famille totalement dysfonctionnelle. Le seul hic était le nombre de personnages : huit. On s’est tout suite dit que cela allait être un projet difficile à monter. 

Formica d’après la bande-dessinée de Fabcaro - Mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné © Frédérique Toulet
© Frédérique Toulet

Clément Séjourné : Cette BD est un appel à l’adaptation théâtrale. Que ce soit le sous-titre « tragédie en 3 actes », les références au chœur antique, et évidemment le fait que l’action se passe dans un huis clos familial… Fabcaro semblait nous tendre une perche immense pour l’adapter à la scène. Son ton décalé a fini de nous convaincre.

Amélie Etasse : Par ailleurs, peu de temps avant, Zaï Zaï Zaïune des bandes dessinées de Fabcaro, venait d’être adaptée sous la forme d’une pièce radiophonique. Je l’avais écoutée juste avant le confinement et en effet dans son travail, il y avait toute la matière pour le théâtre, pour l’adapter au plateau. Dans la foulée, on a demandé les droits Formica et préparé une ébauche du spectacle pour les mises en capsule en 2020. Le covid est passé par là. et a retardé de deux ans le projet. En juin 2022, nous avons enfin pu présenter une première étape de travail, qui a beaucoup plu au public du Théâtre Lepic, habitué à ce genre d’exercice et qui nous a permis de trouver tous nos coproducteurs. Une vraie aubaine. 

Clément Séjourné : Je crois que ce qui marche avec l’écriture de Fabcaro, c’est son ton nouveau, loufoque, et sa manière assez dingue de peindre des situations totalement délirantes. Cela allie assez bien une forme d’exigence qui plaît aux théâtreux et une dimension grand public, dans le bon sens du terme, accessible à tous, même à ceux qui n’oseraient pas pousser les portes d’un théâtre. 

Formica d’après la bande-dessinée de Fabcaro - Mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné © Frédérique Toulet
© Frédérique Toulet

Amélie Etasse : Il y a en effet quelque chose de peut-être plus naturel. C’est un peu comme un storyboard. Et puis l’écriture est aussi moins formatée, plus fraîche que celle de certains textes de théâtre. C’est ce souffle nouveau qui nous a plu. Mais ce n’est pas parce que ça semble plus évident que ce n’est pas piégeux. Chez Fabcaro, les répliques sont assez sèches, il faut donc remplir ce que la BD ne dit pas. Quand on lit ce type d’ouvrage, notre imaginaire comble le vide. Au théâtre c’est à nous, metteurs en scène, de le faire et de charger chaque phrase d’une ou plusieurs intentions.  

Clément Séjourné : L’important pour nous était de trouver comment incarner les personnages, leur donner vie. Dans la bande dessinée de Fabcaro, quasiment aucune des expressions des visages ne sont dessinées voire esquissées. Ce ne sont que des silhouettes. L’important pour lui, c’est de mettre l’accent sur le texte. De ce fait, nous avons dû créer une famille, donner corps au père, à la mère, aux enfants et petits-enfants. Avec les comédiens, nous avons beaucoup travaillé sur l’incarnation de cette tribu dysfonctionnelle. Et avec Amélie, nous avons réécrit le texte pour redéfinir les rapports entre les membres de cette famille qui n’a rien de traditionnel en s’appuyant notamment sur les archétypes qui leur servent de colonne vertébrale.  

Amélie Etasse : Avec beaucoup d’huile de coude ! Lors des premières lectures au plateau, on a testé le bout à bout. En trois quarts d’heure, nous avions fini. C’était trop court pour un spectacle. Il a donc fallu réécrire, rentrer dans les chaussons de Fabcaro pour que les rajouts soient insoupçonnables. Parfois, il arrivait que nous ne sachions plus ce qui était de lui ou pas. Le second travail a été de trouver le ton pour que l’ensemble prenne corps. Il était important que l’on y insuffle une énergie qui nous était propre sans dénaturer l’œuvre originelle. Tout ce travail s’est évidemment fait avec l’accord de Fabcaro, qui a eu la gentillesse de nous laisser les clés du camion. Comme la plupart des situations ont quelque chose de très vaudevillesque, que la mécanique ressemble à du Feydeau, il était important de ne pas surenchérir. Il fallait que l’on trouve un ton, une rythmique absolument pas cabotine. Par ailleurs, il y a une chose très importante dans la BD qu’il fallait que l’on respecte, ce sont les silences. Au cinéma, tu peux faire des travellings, des zooms, au théâtre, il fait trouver d’autres biais. Les silences permettent de mettre du relief à un endroit. 

Clément Séjourné : On cherche encore. Nous travaillons encore le texte pour être proche de l’écriture de Fabcaro tout en lui donnant des couleurs qui nous ressemblent. Nous en sommes, je crois, à la douzième version. À chaque fois, cela se rapproche de l’idéal vers lequel on tend. 

Formica d’après la bande-dessinée de Fabcaro - Mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné © Frédérique Toulet
© Frédérique Toulet

Amélie Etasse : C’était comme un clin d’œil, un hommage à l’œuvre originale. Avec la scénographe, Natacha Markoff et son acolyte Christophe Bourbier, nous avons travaillé sur l’éclairage, sur les couleurs. L’idée des trappes par exemple, c’est un peu comme les bulles, comme les cases d’une BD. Et puis nous souhaitons aussi qu’il y ait de l’absurde dans ce décor et dans la mise en scène, que cette maison qui est composée d’accumulations d’objets en tout genre, autant une caverne d’Ali Baba de souvenirs que le reflet de la société de consommation qui comble le vide en remplissant l’espace. C’était aussi pour nous une manière de déplacer le curseur vers du théâtre dont on n’a moins l’habitude. Certaines situations sont tellement gaguesques, comme l’homme carotte, l’homme kébab, ou quand Hervé, le personnage qu’incarne Clément, se prend un plat de pâtes géant sur la tête, qu’on voulait absolument les reproduire sur scène. 

Clément Séjourné : Pour le réaliser, nous avons aussi effectué un travail presque clownesque. Avec Jacques Hadjaje dans la distribution, cela été un vrai bonheur. Ce qu’il nous apporte est énorme. Sa présence au plateau, presque burlesque donne une fantaisie et une couleur encore très différente au projet. Un vrai travail de troupe et d’équipe a été nécessaire pour composer cette famille avec des énergies qui se complètent et qui peuvent aussi parfois être antagonistes. Ensuite, ce qui nous plaisait c’était de proposer une surenchère d’objets, de télés pour rappeler aux spectateurs leur propre vécu. Souvent, il y a des maisons où il y a des postes dans toutes les pièces, les étagères sont surchargées de bibelots. Tout cela remplit l’espace, raconte une histoire et évoque forcément des souvenirs. C’est de la réalité à la sauce Ionesco. On voulait éviter d’être trop naturaliste pour ne pas tomber dans un côté Striptease. Certaines situations, on les a tous vécues. Il fallait donc amener de la légèreté pour que les gens ne se sentent pas jugés. Ce n’est pas l’objet de la pièce. Tout est histoire de dosage. 

Amélie Etasse : On s’est rendu compte que finalement, tous font partie de notre cercle proche ou de notre réseau. La plupart ont fait la même école que nous, celle de Claude Mathieu. Il y a une force de travail dans cette formation qui nous a portée et qui fait la richesse de ceux qui en sortent. L’un des points essentiels de ce qui nous est enseigné, c’est le travail sur la sincérité. Et c’est vraiment cela que l’on voulait travailler, notamment pour éviter d’être dans le boulevard.

Formica d’après la bande-dessinée de Fabcaro - Mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné © Frédérique Toulet
© Frédérique Toulet

Amélie Etasse : Nathalie Lucas et Serge Paumier ont été vraiment géniaux avec nous. Ils nous ont donné une chance. Quand nous les avons rencontrés, on a tout de suite senti leur envie de déplacer leur ligne, d’aller vers des propositions plus fraîches, plus jeunes, de prendre des risques. En cela, on répondait je crois à une tentative de nouvelles formes, de renouvellement de textes et d’énergie. Le pari a été vite gagné. À Avignon, nous avons été complets dès la deuxième. Serge était content. Il nous disait : « Quand les gens sortent de votre spectacle, ils sont très enthousiastes et parfois déroutés. Ils ont envie d’en débattre. » Cela l’amusait beaucoup. Et puis l’aventure continue puisqu’ils nous ont appelés pour l’ouverture de la salle parisienne. C’est d’autant plus courageux dans le contexte actuel que nous sommes huit au plateau. 

Clément Séjourné : On a été très touchés par leur appel. Quand on regarde les spectateurs, le quartier dans lequel sont implantés Les Gémeaux parisiens, le XXe, il y a pour moi comme une adéquation.

Amélie Etasse : D’autant plus que c’est notre quartier. On y a vécu, j’y ai grandi, Clément y a passé une partie de sa jeunesse. On est un peu chez nous. C’est populaire, c’est chaleureux. Il y a de tout, deux théâtres subventionnés pas loin, et ce nouveau théâtre qui joue avec les lignes en cherchant avant tout un travail exigeant et de qualité, du classique et du contemporain. Et ça, c’est chouette ! 


Formica d’après la bande-dessinée de Fabcaro
création en juillet 2023 au Théâtres des Gémeaux dans le cadre du Festival OFF d’Avignon
Durée 1h15

Reprise
Théâtre des Gémeaux parisiens
15 rue du Retrait
75020 PARIS
du 20 septembre au 12 décembre 2024

Mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné
Adaptation d’Amélie Étasse
Emmanuelle Fernandez, Jacques Hadjaje, Marianne Thiery, Amélie Etasse, Julien Ratel, Clément Séjourné, Chloé Chazé, Nicolas Hardy
Collaboration artistique – Clémentine Niewdanski
Décors de Natacha Markoff
Assistant décors – Christophe Bourbier
Costumes d’Alain Blanchot
Lumières de Denis Koransky
Son de Faabriskie
Vidéo – Johanna Boyer Dilolo, Clément Boyer Dilolo

Teaser de Formica de Fabcaro, mise en scène d’Amélie Etasse et Clément Séjourné © Théâtre des Gémeaux Parisiens

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com