En 2003, le massacre de la famille Flactif, dans leur chalet de Savoie, avait fait grand bruit ! Animé semble-t-il par la haine et la jalousie, un homme a tué ses voisins, puis les a incinérés dans la forêt. Arrêté, il sera condamné à perpétuité. Sa compagne et un couple d’amis écoperont également d’une peine de prison. Samira Sedira est partie de cette question, qui a taraudé la France entière : comment des gens ordinaires sont-ils arrivés à assassiner des gens comme eux ?
Un drame des temps modernes
Cette histoire est une tragédie puisque tous les protagonistes se retrouvent pris dans une action qui les mène à une issue fatale. Le cinéma et la télévision s’en sont servis, citons, Possessions d’Éric Guéirado, La vie rêvée des autres de Didier Le Pêcheur et Jérôme Cornuau. Comme eux, l’autrice a cherché à faire une fiction, modifiant certains éléments de l’histoire, lui apportant alors une autre dimension.
La première à prendre la parole est Anna (étonnante Laure Barida), celle qui est devenue pour tout le monde « la femme du meurtrier ». Allongée sur un lit – qui à la fin du spectacle s’avérera être celui de l’hôtel à côté de la prison – elle regarde sur son téléphone portable les images des temps heureux. Celles-ci sont projetées. Puis elle s’adresse à son époux, Constant (extraordinaire Étienne Galharague). Ils se connaissent depuis l’enfance. Voué à un grand avenir sportif, un accident a modifié son parcours de vie. La faille était là et elle n’a pas su la voir.
Un thriller haletant
S’appuyant, comme souvent dans ses mises en scène (La faute), sur une scénographie mobile, Éric Massé porte au plateau les différentes étapes de cette descente aux enfers. Dans un rythme très vif, il fait défiler une suite d’images marquantes qui font monter la tension de ce thriller psychologique. Du mariage d’amis, où ils font la connaissance des époux Langlois, à la salle d’audience, en passant par le réveillon de Noël, les changements de lieux sont les véritables pièces d’un grand puzzle. Chaque détail, comme celui qui en fond de scène laisse apercevoir des couronnes de fleurs mortuaires, a son importance.
Sylvia (subtile Marianne Pommier) et Bakary (formidable Gaëtan Kondzot) sont des parisiens venus s’installer à Carmac, un « trou » paumé où l’avenir est trop souvent incertain. Ils sont le symbole de la réussite sociale. Bakary est en enfant d’Afrique adopté par des intellectuels parisiens. C’est un homme cultivé et, comme dirait certain, civilisé ! Le racisme n’est jamais loin… Ils ont fait construire leur luxueux chalet, en face de chez Constant et Anna qui rament pour s’en sortir. Anna deviendra leur femme de ménage.
Simon (solide Louis Ferrand), au caractère vif, surtout quand il a bu, est agriculteur. Sa femme (délicieuse Amélie Zekri) est une personne lumineuse qui vient de la ville. D’étranges liens se tissent entre eux. Ceux de la région ont dans un premier temps une sorte d’admiration matinée de convoitise. Quant aux Langlois, ces marques d’attention leur permettent de broder une belle escroquerie qui causera leur perte. Le récit du drame, par la voix du meurtrier, est glaçant !
Une mécanique infernale
L’autrice comme le metteur en scène s’attachent à montrer comment deux êtres complexes et manipulateurs, Bakary et Constant, ont eux-mêmes creusé leur tombe. Le premier a voulu comme Icare voler trop haut. Le second s’apparenterait à Phtonos, divinité de la jalousie et de l’envie dans la mythologie grecque. Les autres ne sont que les « victimes » collatérales de ce combat entre deux forces. Mais on n’en arrive pas là pour rien… L’étude sociologique et psychologique qu’ils en font est passionnante. Tout est dit et souligné dans ce formidable spectacle mené de main de maître.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Lyon
Des gens comme eux, adapté de son roman par Samira Sedira
Théâtre du Point du Jour
7 rue des Aqueducs
69005 Lyon
Création du 3 au 11 octobre 2024
Durée 1h55
Mise en scène d’Éric Massé
Avec Laure Barida, Louis Ferrand, Étienne Galharague, Gaëtan Kondzot, Marianne Pommier, Amélie Zekri
Collaboration artistique Selena Hernandez
Coach vocal Myriam Djemour
Scénographie de Kinga Sagi
Création Son de Marc Chalosse
Costumes de Loïs Heckendorn
