La Tempête ou la voix du vent d’après William Shakespeare, mise en scène de William Shakespeare © Lauren Pasche
© Lauren Pasche

La Tempête, la fantaisie féérique d’Omar Porras

Dans son théâtre du canton de Vaud, à quelques encablures de Lausanne, le metteur en scène colombien monte l’une des dernières pièces de Shakespeare, une ode à la magie, à la liberté et au pouvoir des livres. 

Des tours, du moins leur ossature de béton et de ferraille, s’élèvent autour du Théâtre Kléber-Méleau, sorte de dernier bastion culturel, dans un quartier en pleine effervescence. Malgré la pluie battante, le public est au rendez-vous. Le foyer bruisse du bruit du monde, la salle est comble. De toutes les générations, les spectateurs, curieux, viennent découvrir la dernière création du maître des lieux, Omar Porras. Revenant à ses premières amours, le masque et la pantomime, il s’empare de La Tempête de Shakespeare avec une gourmandise et une appétence d’enfant qui aurait grandi trop vite. 

La Tempête ou la voix du vent d’après William Shakespeare, mise en scène de William Shakespeare © Lauren Pasche
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Dans un vacarme de tous les diables, une bande de trublions investit la salle et la scène. Matelots en guenille, corsaires ou musiciens, ils exposent la trame de la tragicomédie à venir. Une tempête approche, le ciel, zébré d’éclairs, gronde. Le bateau transportant le roi de Naples et son fils Ferdinand, pris par une houle d’enfer, vacille et fait naufrage non loin d’une île qui renferme de singuliers secrets. C’est en effet, sur ce bout de terre, que Prospero, roi de Milan, déchu et exilé par son frère, a trouvé refuge avec sa fille, il y a douze ans de cela. Oisif et rêvant de vengeance, il s’est plongé dans la magie des livres qui lui confère le pouvoir de maîtriser les esprits de la nature, que ce soit l’enjoué Ariel ou le sinistre Caliban. 

Avec l’arrivée du roi, son ennemi juré, et de sa suite, le vieil homme, qui n’est pas totalement étranger aux déchaînements des éléments, voit enfin l’occasion de rendre à tout ce petit monde, plein de certitude, la monnaie de sa pièce. Usant de la magie et des illusions, il va embrouiller leurs esprits, leur faire perdre ce qu’il faut de tête. Mais profondément humain, le sorcier va renoncer à ses pouvoirs, se réconcilier avec ses adversaires, retrouver son duché et surtout marier sa fille chérie à l’aimable Ferdinand. 

La Tempête ou la voix du vent d’après William Shakespeare, mise en scène de William Shakespeare © Lauren Pasche
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Il y a dans cette ultime pièce de Shakespeare, tous les ingrédients qui ont de quoi faire saliver un metteur en scène, comme Omar Porras, de la magie, de la folie et du surnaturel. Grand connaisseur de la machinerie théâtrale dans ce qu’elle a de plus artisanale, il se sert de tous les outils scéniques qui permettent de créer l’illusion d’un monde fantastique. De la tôle que l’on secoue pour que gronde l’orage aux masques qui rendent méconnaissables les comédiens, en passant par des costumes somptueux et des feux de théâtre, l’artiste multiplie les effets et ouvre aussi les portes d’autres dimensions. 

Créatures semblant sorties de l’univers de Miayzaki, pantomimes rappelant les grandes heures de la Commedia dell’arte ou d’un décor que Disney ne renierait pas, tout l’univers que déploie Omar Porras fait écho à l’enfance, au temps où l’imaginaire ne connait pas de brides. Chant de sirènes, méchants particulièrement laids, jeux d’ombres et de lumières ciselés, avec son dramaturge Marco Sabbatini et son maitre ès effets spéciaux, Laurent Boulanger, il entraîne le public, ensorcelé, au cœur d’un conte savoureux et follement drôle. 

Parfois le trait est exagéré, mais ce n’est que pour mieux nous embobiner, nous émerveiller et nous enchanter. Porté par une troupe virtuose de comédiens méconnaissables – , Pierre Boulben, Francisco Cabello, Karl Eberhard, Antoine Joly, Jeanne Pasquier, Guillaume Ravoire et Diego Todeschini – si ce n’est l’innocente Miranda, qu’incarne Marie-Evane Schallenberger, dont les traits quasi elfiques invoquent pureté et naïveté, cette Tempête à nulle autre pareille déborde de partout, nous emporte dans sa folle embardée pour mieux inséminer sur nos terreaux de moins en moins fertiles, un je-ne-sais-quoi d’enfance, prompte à emballer nos imaginaires. Une réussite où le kitsch et le suranné, loin d’être ringards, réinventent le théâtre dans ce qu’il a de plus fantasmagorique !


La Tempête ou la voix du vent d’après William Shakespeare
Théâtre Kléber- Méleau
Chemin de l’Usine à Gaz 9
CH-1020 Renens-Malley
du 24 septembre au 13 octobre 2024
Durée 2h

Tournée
28 mars au 17 avril 2025 au Théâtre de Carouge
7 et 8 mai 2025 au Théâtre Équilibre-Nuithonie, Fribourg

Mise en scène d’Omar Porras assisté de Guillaume Pidancet
Adaptation et texte français de Marco Sabbatini & Omar Porras
avec Pierre Boulben, Francisco Cabello, Karl Eberhard, Antoine Joly, Jeanne Pasquier, Guillaume Ravoire, Marie-Evane Schallenberger &  Diego Todeschini
Scénographie d’Amélie Kiritzé-Topor
Création marionnettes de Carole Allemand
Création musique de Christophe Fossemalle & Omar Porras
Costumes de Bruno Fatalot assisté de Julie Raonison
Maquillage, perruques et masques de Véronique Soulier-Nguyen assistée de Léa Arraez
Directeur technique – Christophe de la Harpe
Régie générale – Caroline Roux, Régie plateau – Gabriel Sklenar
Noé Stehlé, Régie lumière – Ludovic Bouaud, Guillaume Dentz &Christophe Kehrli
Accessoires et effets spéciaux – Laurent Boulanger assisté de Jean-Marie Abplanalp, Lucia Sulliger & Yvan Schlatter
Création lumière de Mathias Roche
Création et régie son de Benjamin Tixhon & Sébastien Perron

Construction décor – Ateliers Espace & Cie SA (Vénissieux), Eytan Baumgartner, Chingo Bensong, Justin Bornand, Nicolas Rod, Noé Stehlé

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