On descend Rue Princesse de Massidi Adiatou © Christophe Péan
On descend Rue Princesse de Massidi Adiatou © Christophe Péan

Les Zébrures d’automne 2024, entre contes et légendes

À Limoges, pour une dizaine de jours, le temps s’est mis comme chaque année aux couleurs des Francophonies. Au programme pour cette 41e édition de la poésie, des récits pluriels, de beaux rêves et un brin d’utopie ! 

La pluie, toujours, mais le soleil aussi. D’année en année, le festival des Francophonies des écritures à la scène se laisse porter aux rythmes des caprices de la météo, car c’est ailleurs que son cœur bat et palpite. Auteurs et autrices du monde entier, comédiens et comédiennes d’ici et surtout de là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, de l’océan Atlantique ou tout simplement des Flandres, viennent habiter les plateaux. Récits de vie, contes lointains, histoires réelles devenues légendes ou rêves utopiques matérialisés par la volonté d’un homme, d’une femme, c’est un peu de tout cela que les festivaliers viennent chercher dans les salles limougeaudes. 

Les contes du Zèbre - Dan Bosembo Alonga © Chistophe Péan
Les contes du Zèbre – Dan Bosembo Alonga © Chistophe Péan

Voix douce, mélodieuse, Dan Bosembo Alonga ouvre le bal des Contes du Zèbre, qui pour la deuxième année consécutive anime les matinées du festival. Sous la tente berbère dans le jardin de la Maison des Francophonies, le jeune auteur de vingt-deux ans, tout juste arrivé de la République démocratique du Congo, touche au cœur. Sourire éclatant, visage avenant, il dégage un charme fou, tout en délicatesse et rondeur. Médaille de bronze du concours de contes et conteurs des neuvièmes Jeux de la francophonie qui ont pris place en 2023 à Kinshasa, capitale de son pays, l’artiste joue avec les mots, les fait danser, chanter. Que ce soient des histoires de princesses qui préfèrent à la beauté la profondeur d’âmes ou celles d’un moustique amoureux d’une jeune femme, il met dans ses récits naïfs, plein de couleurs, de la poésie et du rêve. 

S’il est le premier à investir ce nouveau rendez-vous du festival, il sera rejoint jusqu’au 2 octobre prochain par les deux autres lauréats de ce concours — la Burkinabée  Hanna Samira Moumoula et le Nigérien Iroconteur. Leur présence n’a rien d’un hasard. Dans une poignée de jours, ces trois conteurs présenteront leurs œuvres et des récits communs lors de Refaire le monde, le Festival de la francophonie organisé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à la Gaîté Lyrique. Une occasion unique de rêver à des rivages lointains à travers des fables et des aventures nourries par des imaginaires riches d’une culture plurielle.

Soudain la pierre des Baladins du miroir © Christophe Péan
Soudain la pierre des Baladins du miroir © Christophe Péan

Quelque part dans la Drôme, à Hauterives, une étrange bâtisse attire les regards. Elle ne ressemble à rien ou plutôt elle est la synthèse de toutes les architectures du monde. Construit entre 1879 et 1912, ce « Palais idéal » sorti de l’imaginaire d’un seul homme, le facteur Ferdinand Cheval, fait de pierres ramassées sur les chemins, de ciment et de chaux, est aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre de l’art brut. Séduit par cette folle histoire, la compagnie belge Les Baladins du miroir s’en empare avec gourmandise au CCM Jean Gagnant. Habitués des chapiteaux, ils tissent un récit fait de bric, de broc, de macramé et de bien d’autres inventions de leur cru. 

Masqués, grimés, les comédiens et comédiennes, dirigés avec doigté par Geneviève Knoops, virevoltent sur scène, sortent de derrière un rideau noir avant de disparaître aussi vite dans les coulisses presque par enchantement. Hybridant les arts, à l’ancienne, de la marionnette au chant, en passant par quelques pas dansés exécutés avec générosité, la troupe belge plonge les spectateurs au cœur d’une folie, d’une passion, d’une utopie. Du brut, du poétique un brin suranné et un soupçon de candeur font le sel de cette œuvre singulière entre pantomime et comédie clownesque.

À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué © Serge Hivert
À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué © Serge Hivert

En mars dernier, quelques mois après avoir obtenu le prix RFI théâtre, Éric-Delphin Kwégoué présentait dans le cadre des Zébrures de Printemps sa nouvelle pièce, À cœur ouvert. À la manière d’un thriller, il plonge dans les zones d’ombres d’un État qui a fait de la corruption les fondements de son pouvoir. S’emparant d’un terrible fait divers, l’assassinat avec tortures en 2023 du journaliste camerounais, Martinez Zogo, l’auteur et metteur en scène esquisse les contours d’une fable contemporaine qui oscille en permanence entre granguignolesque et drame. 

Tout comme Shakespeare en son temps, Éric-Delphin Kwégoué a bien compris que pour raconter la tragédie, pour en faire comprendre les terribles mécanismes, le rire est un vecteur puissant. Malgré la torture, les violences subies par une femme enceinte, les récits de sévices, il insuffle à sa pièce un souffle burlesque qui donne à voir toute l’horreur d’un régime pourri jusqu’à la moelle. S’attachant à montrer l’importance d’une presse libre et indépendante, la puissance parfois positive des influenceurs, nouveaux lanceurs d’alerte de la toile, il signe un spectacle, certes fragile, parfois bancal, mais qui a le mérite de dénoncer un système politique devenu endémique. 

<em>On descend Rue Princesse</em> de Massidi Adiatou © Christophe Péan
On descend Rue Princesse de Massidi Adiatou © Christophe Péan

Enfin, pour finir en beauté, un séjour limougeaud haut en couleur et en découverte, au Grand-Théâtre, le chorégraphe ivoirien Massidi Adiatou met le feu à la salle. En proposant aux festivaliers de descendre rue Princesse, il invite ses danseurs et le public à lâcher prise avec le qu’en-dira-t-on, les préjugés de genre et à se libérer de tous les carcans que nous imposent nos sociétés tant européennes qu’africaines corsetées par les religions, les totalitarismes et les petits esprits. En redonnant vie à l’un des lieux emblématiques de la vie nocturne abidjanaise, détruite en 2011 suite à l’opération « Pays propre » décidée par le gouvernement présidé par Alassane Dramane Ouattara, l’artiste imagine une nouvelle utopie, celle de tous les possibles, de toutes les extravagances. 

Empruntant à Beyoncé, Shakira, Prince, Michaël Jackson ou même à Snoop Doggy Dog version queer les postures et les vêtures, c’est tout une jeunesse qui se met à danser, à tournoyer follement, éperdument. En moins de temps qu’il faut pour dire ouf, s’improvise ici un battle, là une impro à partir d’un coupé décalé hyper communicatif. Portés par les musiques jouées en direct par Seydou Kienou et remixées aussitôt par les Disque jockey, DJ Mulukuku et Mamoué Diomandé, les danseurs et danseuses de Massidi Adiatou brûlent littéralement les planches et entraînent dans une danse folle le public totalement charmé. Si on peut regretter une dramaturgie tenue, l’énergie des interprètes et l’esprit rassembleur du chorégraphe suffissent à nous embarquer au cœur des « maquis » ivoiriens, lieux de vie et de sociabilisation qui ne cessent de se réinventer pour toujours plus de liberté !


Les Zébrures d’automne – Les francophonies des écritures à la scène
du 26 septembre au 2 octobre 2024

Les Contes du zèbre
Avec, en alternance, Anne Borlée, Dan Bosembo Alonga, Jihad Darwich, Vi Indigaïa, Iroconteur, Hanna Samira Moumoula
Maison de la Francophonie
Avenue du Général De Gaulle
86000 Limoges

Tournée
La Gaîté Lyrique, Paris, dans le cadre du Festival de la francophonie
les 5 et 6 octobre 2024

Soudain la pierre des Baladins du miroir
CCM Jean Gagnant

Tournée
11 au 13 octobre 2024 à Habay-la-Neuve (Belgique)
31 octobre au 3 novembre 2024 au Centre culturel de Nivelles (Belgique)
29 novembre 2024 au Foyer – Centre culturel de Perwez (Belgique)
14 et 15 décembre 2024 au Centre culturel de Gerpinnes (Belgique)

Mise en scène de Geneviève Knoops
Avec Line Adam, Frédéric Dailly, Monique Gelders, Aurélie Goudaer, Virginie Pierre et Julien Vanbreuseghem
Création musicale de Line Adam
Création costumes de Marie Nils et Isabelle Airaud assistées par Daniel Hélin, Soline Brunet, Cécile Vannest
Scénographie d’Aline Claus et Isis Hauben assistées par Billie Locus, Ilan Notebaert, Antonin Lefevre
Constructions – Mathieu Moerenhout assisté par Damien Drosson
Création lumière d’Ananda Murinni

À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué
Théâtre de l’Union – CDN du Limousin 

Mise en scène d’Éric Delphin Kwégoué
Dramaturgie d’Alice Carré
Scénographie de Caroline Frachet
Création lumière de Cléo Konongo, création Vidéo de Wilfried Nakeu, création son Franck Chauveau, création costume fr Koz’art
Avec Clémentine Abena handa, Abdon Fortuné Koumbha, Claudette Fleur Mendela Bédiébé, Criss Niangouna , Léonce Henri Nlend, Basile Yawanké Nakpane

On descend Rue Princesse de Massidi Adiatou 
Grand-Théâtre de Limoges

Direction artistique et chorégraphique de Massidi Adiatou 
Assistant-chorégraphe – Fernand Irie et Stéphane Téhé
Avec Média Thié Bakayoko, Bamoussa Diomandé, Jean-Luc Stéphane Téhé, Reine Anita Kah, Prince Gwahé, Cédric Baho, Yves Clément, Bohui Yoro, Victoire Koly Loukou, Monne Angbacou, Stéphane Anicet Djonba, Alfred Dosso, Estelle Kouamé Appia, Habiba Kamagaté, Marcelle Gboblai 
Scénographie et Costumes de Massidi Adiatou & Hervé Nianzou
Lumières de Sam Bapes et Georges Mélèdje
Musicien – Seydou Kienou
Disque jockey – DJ Mulukuku et Mamoué Diomandé

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