Deux corps, deux âmes, deux hommes, vont le temps d’un été se repousser, s’attirer, étouffant désir et passion avant de les laisser les brûler d’un amour singulier. En adaptant le roman d’André Aciman, Luca Guadagnino, aidé de James Ivory, signe un film lent, incandescent qui séduit par l’interprétation de ses comédiens, mais dont le propos se perd dans la beauté sèche de l’arrière-pays italien.
L’été 1983 file au rythme de la Dolce Vita italienne dans une grande et belle villa un brin fanée, située non loin de Bergame en Lombardie. Comme tous les ans, la famille Perlman vient y séjourner le temps des vacances, afin de profiter de l’épaisseur des murs, des différents points d’eau propices aux baignades rafraîchissantes et de la nature sauvage qui les isole du fracas de la ville. Elio (époustouflant Timothée Chalamet), 17 ans, unique enfant de cette famille juive d’intellectuels – le père est un éminent professeur spécialiste de la culture gréco-romaine et la mère une traductrice chevronnée- coule des jours bien calmes entre lecture et pratique du piano. S’il s’autorise quelques sorties, quelques incartades pour conter fleurette à son amie Marzia, le jeune prodige passe le plus clair de son temps enfermé dans ses rêves, ses chimères, ses passions littéraires et musicales.
Tout va être chamboulé par l’arrivée du bel Oliver (lumineux Armie Hammer), un doctorant américain d’une trentaine d’années qui vient finir sa thèse dans le giron de l’émérite Monsieur Perlman. Attirant tous les regards, le sculptural blond, peu enclin au travail, semble enchaîner les conquêtes sous le regard étonné, curieux, presque jaloux du jeune Elio. Entre les deux hommes, l’un affirmer et sûr de lui, l’autre en devenir, une singulière et étrange relation s’installe mêler de désir et de connivence intellectuelle. Au-delà des corps, musculeux pour le premier, gracile pour le second, c’est bien leur esprit fin, raffiné, brillant qui les attire l’un vers l’autre faisant fondre l’une après l’autre les barrières de la passion homosexuelle, des qu’en-dira-t-on, des préjugés.
Filmant la naissance du désir, l’éveil de la sexualité, Luca Guadagnino nous entraîne dans les eaux troubles de l’amour, de la sensualité et de la sexualité. Si l’on peut penser bien évidemment à une version gay du Blé en herbe, c’est tout autre chose qui se dévoile devant la caméra du cinéaste italien. S’intéressant plus aux silences, aux non-dits, il montre en creux comment entre les deux hommes s’entremêlent gêne et attirance, passion charnelle et répulsion. Filmant avec sensualité et pudeur, au plus près des visages, des corps, il dessine une carte du tendre où chavirent les cœurs, où l’amour est plus fort que tout. Si l’on peut regretter un manque de rythme, des lenteurs et une certaine mièvrerie dans le propos, faute d’enjeu et de confrontations, on se laisse happer par les interprétations éblouissantes des comédiens.
En mère soucieuse du bien-être de son fils, Amira Casar excelle et donne à son personnage une gravité, une hauteur tout en douceur et légèreté. En père attentionné et aimant, Michael Stuhlbarg est d’une délicatesse extrême. Les scènes avec Elio, où il libère une parole humaine, vibrante, sont d’une rare et bouleversante intensité. Enfin le duo Armie Hammer et Timothée Chalamet séduit par sa fraîcheur, sa sensibilité. Tout en séduction, l’acteur américain irradie l’écran de sa prestance et de son jeu délicat. Tout en fragilité, le jeune franco-américain illumine la pellicule de son air torturé, de sa grâce frêle. Il est magistral, touchant, émouvant.
Presque trop parfait, trop propret, Call Me By Your Name, tout juste oscarisé pour son scénario adapté d’un roman, charme sur le fil, mais n’arrive pas malgré une distribution étincelante à totalement nous entraîner dans les méandres pas assez tumultueux, sulfureux, de ces deux cœurs unis à jamais, mais que la vie va séparer.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Call Me by Your Name réalisé par Luca Guadagnino
D’après le roman éponyme d’André Aciman
Scénario : Luca Guadagnino et James Ivory
Avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg, Amira Casar, Esther Garrel, Victoire Du Bois
Direction artistique : Samuel Deshors
Décors : Roberta Federico
Costumes : Giulia Piersanti
Photographie : Sayombhu Mukdeeprom
Montage : Walter Fasano
Musique : Gerry Gershman et Robin Urdang
Sortie le 28 février 2018
Crédit photos © Sony Pictures