Yohan Vallée © Jeanne Alechinsky
Yohan Vallée © Jeanne Alechinsky

Yohan Vallée : « J’ai voulu creuser ce que signifie l’attente dans un monde où tout va trop vite » 

À l’Étoile du Nord, vendredi et samedi, le jeune chorégraphe présente ABWARTEN, une pièce qui s’inspire des écrits du psychanalyste Jean Oury et de l’œuvre de Raymond Depardon. 

Yohan Vallée : Je suis comédien de formation et suis donc venu tardivement à la danse. Quand je suis arrivé à Paris en 2007 après avoir grandi à Tours, je me suis inscrit au conservatoire du 7e arrondissement de Paris. En plus des cours de théâtre, j’ai suivi les enseignements de Nadia Vadori-Gauthier. Tout est parti de là, de la découverte du mouvement de l’expression corporelle. C’est comme si tout un monde s’ouvrait à moi. En parallèle de cela, j’ai vu mes premiers spectacles de danse contemporaine au Théâtre de la Ville, au théâtre du Châtelet. J’ai eu un vrai choc. En peu de temps, j’ai vu beaucoup d’œuvres. J’y allais plusieurs fois par mois. Cela m’a transformé profondément et m’a permis de me recentrer sur ce que je voulais vraiment. J’ai laissé le texte de côté pour me consacrer au corps et à sa capacité de dire avec presque rien, juste un geste, tant de choses.

Abwarten de Yohan Vallée © Jean Michel Melat-Couhet
© Jean Michel Melat-Couhet

Yohan Vallée : Très vite. Je n’ai finalement été que peu de temps interprète pour les autres. Durant les quatre années où j’ai fréquenté le conservatoire, Nadia m’a beaucoup poussé à écrire mes propres partitions, à décrire par le mouvement mes propres émotions. Elle m’a même offert l’opportunité de travailler sur la pièce que nous présentions en fin d’année. Dans ma manière de travailler, tout est imbriqué. Le mouvement naît d’un émoi, d’un trouble, d’un sentiment à exprimer. Cela me dépasse totalement. Il y a comme un état de corps, un abandon, une nécessité d’aller au-delà de la simple interprétation. C’est extrêmement profond. J’ai besoin de pouvoir aller au-delà de l’écriture, du geste, de donner corps finalement à ce que je ressens, de le faire entendre. Je suis un autodidacte et tout, chez moi, est instinctif. 

Yohan Vallée : Nadia, évidemment. Puis, lors d’un festival à Lyon en 2011 ou 2012, j’ai eu la chance de voir les danseurs du ballet C de la B d’Alain Platel au travail. Cela m’a profondément bouleversé. J’ai eu envie d’en savoir plus, de voir de plus près comment il travaillait. J’ai suivi un premier workshop, puis tous les ans je suis allé à Gand suivre ses stages. À ces différentes occasions, j’ai pu le rencontrer et on a pu échanger à plusieurs reprises. Ce qui m’a particulière troublé, et qui a beaucoup fait évoluer ma pratique, c’est que chez lui, les gens viennent autant de la danse que du chant ou du cirque. Il y a une vraie hybridation des disciplines et des arts.

Yohan Vallée : Je dirais de plusieurs choses concomitantes. Il y avait pour moi la volonté d’une part de mettre en scène des corps très hétérogènes, mais aussi de porter au plateau le dialogue entre le poète et psychanalyste Jean Oury, fondateur de la Clinique de la Borde, et l’autrice Marie Depuissé, qui a nourri le livre, À quelle heure passe le train… Conversation sur la folie. D’ailleurs, le titre du spectacle, ABWARTEN, est tiré de ce cette œuvre. Jean Oury utilise ce terme pour évoquer l’attente incertaine des patients sur l’escalier devant son établissement. En parallèle de cela, je me suis intéressé à la série de photos de Raymond Depardon, Manicomio. La folie recluse, qui fait suite à sa visite de différents asiles italiens à la fin des années 1970. En observant les clichés, j’ai été particulièrement marqué par les postures de ces gens qu’il a pris sur le vif. Tous semblent contraints dans leur enfermement, dans leur attente d’un avenir ou non possible. Les images sont vraiment très fortes. À partir de cette matière fascinante, troublante, étonnante, j’ai eu envie de creuser ce que signifie attendre dans le monde d’aujourd’hui où tout va trop vite, ou l’on ne prend plus le temps de rien.

Abwarten de Yohan Vallée © Jean Michel Melat-Couhet
© Jean Michel Melat-Couhet

Yohan Vallée : Tout ce qui me touche, me questionne. La photographie et la littérature, notamment, sont pour moi des matériaux de base très importants. Cela étant, il m’arrive aussi d’avoir des musiques en tête, qui viennent régulièrement stimuler mon imaginaire. Souvent je ne les conserve pas mais elles irriguent et infusent le processus artistique. Certaines, plus insistantes, reviennent en fin de création et font partie de la bande son du spectacle.

Yohan Vallée : De manière assez naturelle. J’ai des images, des motifs mais rien de concret. C’est ensemble que l’on explore différentes pistes, que l’on construit la partition. Pour cette création, j’ai travaillé avec des artistes venant autant de la danse que du théâtre, avec des physiques et des âges très différents. La plus jeune a trente-deux ans, la plus âgée soixante-deux ans. Comme je l’ai déjà dit, il était important qu’il y ait de l’hétérogénéité au plateau.

L’idée était de travailler autant sur le mouvement et le corps que sur l’interprétation des émotions. J’avais déjà en tête trois lignes chorégraphiques d’une douzaine de minutes, mises bout à bout, que nous avons utilisées comme base et que nous avons nourries d’improvisations et d’exercices divers et variés. L’important était pour moi de travailler sur des états autant émotionnels que corporels, et que chacun aille chercher au plus profond de lui des sensations propres, intimes. Il y a vraiment dans ma manière d’aborder la danse au plateau l’idée de parcours de vie et de corps. Malgré le sujet, l’attente, qui peut faire peur ou peut paraître pour certains ennuyeux, il y a tout au long de la pièce une tension palpable, une interaction entre les interprètes qui donne à l’œuvre, je l’espère, quelque chose de sensible. J’ai souhaité jouer sur l’évanescence des corps tout en affirmant, en soulignant leur présence au plateau. 

Yohan Vallée : C’est vrai. C’est assez étrange. Au départ, je devais danser, mais j’ai choisi de me mettre en retrait. J’avais besoin de recul, d’être dans la position de celui qui regarde. Je ne regrette absolument pas cette décision. En étant qu‘observateur, j’ai pu creuser d’autres pistes que je n’aurais peut-être pas explorer en étant sur scène. Nous sommes sur la dernière ligne droite, ABWARTEN va bientôt prendre son envol, se frotter au public. J’ai maintenant hâte de voir si ce que je ressens en étant dans la salle à un écho auprès des spectateurs. Le verdict est imminent. C’est une sensation vertigineuse. 


ABWARTEN de Yohan Vallée
Théâtre de l’Étoile du Nord
16 rue Georgette Agutte
75018 Paris

27 et 28 septembre 2024
durée 1h

Conception et chorégraphie de Yohan Vallée
Création et interprétation – Thalia Otmanetelba, Lucie Raimbault, Ingrid Tegyey et Victor Virnot
Création musicale et sonore de David Hess
, Création lumière et régie générale de Virginie Galas, Création costumes d’Anna Carraud
Scénographie de Léo Lévy-Lajeunesse

Teaser d’ABWARTEN de Yohan Vallée © Cie Appel d’air

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