Sur tes traces de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault © Emily Coenegrachts
© Emily Coenegrachts

Sur tes traces, le tendre puzzle de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault

Dans le cadre du Festival d'Automne, les deux artistes portent un spectacle sensible dans lequel ils brossent mutuellement leur portrait.

Au Théâtre de la Bastille, les deux monologues de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault, qui composent Sur tes traces, résonnent au plateau. Comme superposés, les deux textes sont portés simultanément et le public est invité à choisir un canal sur un casque. Un dispositif qui dit tout de l’impossibilité de l’entreprise du duo : comprendre ceux qu’on aime.

Sur tes traces de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault © Emily Coenegrachts
© Emily Coenegrachts

Tout spectacle est un choix. Là où au cinéma, par le travail de montage et de cadrage (exception faite du splitscreen), la réalisation oriente l’attention du public, on peut imaginer au théâtre un parterre dont les têtes se tournent dans tous les sens. Chacun, selon son placement, a son expérience propre du spectacle qui lui est donné à voir. On peut observer en fond de scène les réactions de ce comédien à un dialogue ou laisser ses yeux se perdre sur les détails d’un décor alors qu’un monologue s’éternise.

Deux artistes entreprennent simultanément un monologue. De grandes thématiques se dégagent de récits fourmillants de détail. On y parle d’amour, de deuil, d’exil à travers les récits de la guerre Iran-Iraq, de la culture du cruising ou des violences subies par les populations autochtones au Canada. Armé de son casque, le spectateur a la possibilité de passer d’un récit à l’autre.

L’introspection est un élément structurant du travail de ces deux artistes. Par l’autofiction, c’est une recherche de vérité qui s’écrit inlassablement. Dans Les Forteresses, Gurshad Shaheman posait par exemple au plateau les existences de sa mère et ses sœurs, malmenées par le pouvoir iranien. Par un élégant travail d’enchevêtrement des récits, la grande histoire s’esquissait au détour d’un détail. C’est dans la banalité d’un quotidien que résonne parfois la violence la plus politique. Il en va de même dans ce spectacle en duo qui laisse entrevoir l’indifférence du gouvernement français face au SIDA, le néocolonialisme crasse d’un loi canadienne des années 1980 ou les exactions de Saddam Hussein.

Sauf qu’ici, c’est l’autre qui devient l’objet de cette recherche. Sur tes traces est donc la juxtaposition de souvenirs qui unissent les deux artistes mais aussi de ceux qu’ont partagé des proches au détour d’un café ou d’un long repas arrosé. C’est une enquête sensible, vouée à ne pas trouver de réponse. Et très vite, ce qui s’écrit, c’est une véritable déclaration d’amour.

Sur tes traces de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault © Emily Coenegrachts
© Emily Coenegrachts

En redécorant sans cesse cet l’appartement, en revêtant ici un costume, là une perruque, en s’armant d’un vase, d’un appareil photo ou d’une kalashnikov, Dany Boudreault et Gurshad Shaheman convoquent des imaginaires. Pèle-mêle, les images nous apparaissent sans que la narration les contextualise directement. En déplaçant les signes, c’est le sens même de ce qui nous est raconté qui est altéré. Là où on entend de la tendresse, on frémit devant la violence d’un tableau. Ici, on s’enchante d’une danse quand il est question de deuil dans le casque.

Portés par une création lumière léchée et quelques nappes électroniques qui offrent au spectacle une véritable signature, les interprètes touchent par la simplicité (apparente) de cette performance dont l’inconnu est un personnage à part entière.

C’est peut-être là le tour de force de ces récits intimes qui s’entrecroisent, laisser chaque fois une porte ouverte à l’interprétation et trahir par une série de points de suspension l’impossibilité de dire le vrai. Aimer ce qu’on ne peut pas comprendre chez l’autre, raconter ce qu’il a passé une vie à taire, penser ce qu’il n’envisage pas, ce sont là les paris bouleversants de cette pièce singulière qui, loin d’un dispositif gadget, trouve avec la technologie le moyen d’aller au bout de sa proposition ; penser la relation à l’autre comme une énigme insoluble, traversée par une myriade d’émotions.


Sur tes traces de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault
Création le 13 mai 2024 au Kunstenfestivalsdesarts, Bruxelles
Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
76 rue de la Roquette
75011 Paris
du 23 septembre au 4 octobre 2024
durée 2h15

Tournée
9 au 11 octobre 2024 au Théâtre de la Croix Rousse, Lyon
4 au 22 février 2025 au Théâtre Prospero, Montréal
29 et 30 avril 2025 au Manège Maubeuge, Scène nationale transfrontalière
7 mai 2025 au Centre culturel Mamer, Luxembourg
4 au 6 juin 2025 à La Criée, Théâtre national de Marseille

Mise en scène et interprétation – Gurshad Shaheman, Dany Boudreault
Assistant à la mise en scène Renaud Soublière
Création sonore de Lucien Gaudion
Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy
Lumières de Julie Basse, assistée de Joëlle Leblanc
Dramaturgie d’Youness Anzane, Maxime Carbonneau
Costumes de Bastien Poncelet

Mise en scène et interprétation – Gurshad Shaheman et Dany Boudreault
Assistant à la mise en scène – Renaud Soublière
Création sonore de Lucien Gaudion
Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy
Lumières de Julie Basse assistée de Joëlle Leblanc
Dramaturgie de Youness Anzane et Maxime Carbonneau
Costumes de Bastien PonceletMise en scène et interprétation – Gurshad Shaheman, Dany Boudreault
Assistant à la mise en scène Renaud Soublière
Création sonore de Lucien Gaudion
Scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy
Lumières de Julie Basse, assistée de Joëlle Leblanc
Dramaturgie d’Youness Anzane, Maxime Carbonneau
Costumes de Bastien Poncelet

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