Vasanth Selvam © Shreya Wankhede
Vasanth Selvam © Shreya Wankhede

Vasanth Selvam crève le quatrième mur et l’écran de Pondichéry à Strasbourg

À l'affiche de Lacrima de Caroline Guiela Nguyen au TNS du 24 septembre au 4 octobre, le comédien originaire d'Inde démontre avec une belle prestance qu'il est aussi à l'aise sur un plateau de cinéma que sur les planches d'un théâtre.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Quand j’étais enfant, dans mon village, il y avait chaque année des festivals célébrant les divinités. Ils duraient trois ou quatre jours. Les rues étaient remplies de musique, de danse et de défilés masqués. C’était très proche de ce qu’est un carnaval occidental. Je me souviens encore du masque de l’ours : quand nous étions enfants, nous avions peur de nous en approcher !      

Lacrima de Caroline Guiela Nguyen  © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Lacrima de Caroline Guiela Nguyen © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Une carrière dans le théâtre [rires] ! Je ne l’aurais jamais imaginé. La première fois que j’ai assisté à du théâtre contemporain, j’avais vingt-trois ans. J’ai fait des études d’ingénieur et j’ai travaillé dans une entreprise de logiciels pendant quelques années. J’avais une passion pour le théâtre, ce qui m’a amené à participer à un atelier théâtre, puis j’ai pratiqué le théâtre à temps partiel pendant un an avant de décider de quitter mon emploi pour m’y consacrer entièrement. Je dois dire que j’étais furieux. Je savais qu’il n’était pas possible de faire carrière dans le théâtre en Inde. D’ailleurs, de nombreuses personnes m’ont mis en garde à ce sujet lorsque j’ai commencé ma carrière. Mais j’étais si jeune, avec beaucoup de rêves et d’énergie, et je voulais changer les choses, prouver à ma famille et à la société qu’il était possible d’en faire son métier. J’ai réussi à survivre pendant 11 ans en gagnant juste assez d’argent pour me nourrir. Nous avons réussi plus ou moins les dernières années, j’ai gagné 20000 roupies par mois (210 euros) avant de partir pour la France en 2020. Travailler en France aujourd’hui est un luxe pour moi. J’ai enfin pu respirer et profiter de la liberté économique que me procurait le métier d’acteur.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Ce n’est pas en quinze jours que j’ai décidé de devenir acteur. J’avais la passion de la comédie et ce feu était si fort qu’il m’a conduit à faire différentes rencontres. Je les ai suivies jusqu’à aujourd’hui. Je suis comme une bûche de bois qui flotte au fil de l’eau. 
J’ai rencontré des artistes merveilleux dans mon pays ; ils m’ont inspiré et m’ont donné l’énergie de poursuivre ma passion. J’ai été acteur avec le metteur en scène Koumarane Valavane à Pondichéry, au théâtre Indianostrum, pendant de nombreuses années. Le travail que j’ai effectué avec lui a été crucial pour ma formation d’acteur.

<em>Lacrima</em> de Caroline Guiela Nguyen  © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Lacrima de Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Il s’agissait d’un spectacle intitulé Le Retour de Gandhi que j’avais écrit et mis en scène dans mon école. Je jouais le rôle de Yama, le gardien des âmes mortes, qui accompagne Gandhi lors de son retour en Inde à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance. J’avais un costume majestueux et scintillant et je portais une arme appelée Kadha — cette arme est également utilisée par le dieu singe Hanuman. Tous les petits enfants qui regardaient le spectacle pensaient que j’étais Hanuman et ont commencé à me taquiner jusqu’à la fin du spectacle. Dans ma carrière professionnelle, mon premier spectacle a été Midnight traveler dans le cadre d’un festival de théâtre. Ironiquement, j’ai joué un vrai singe et cette fois-ci, j’ai vraiment effrayé les enfants.

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Le Mahabharata de Peter Brook. Jeffery Kissoon y est impressionnant dans le rôle de Karna.

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
À l’été 2010, nous étions en tournée avec une adaptation des Fourberies de Scapin. Un jour, nous nous sommes produits sur la place d’un village isolé et nous étions sur le point de partir. J’étais assis à côté de la fenêtre de la camionnette. Une dame vivant dans la rue, mentalement dérangée aux yeux des gens qui la connaissaient, s’est approchée de la camionnette et m’a donné un billet de dix roupies plié et sale. Au Tamil Nadu, il est coutume que le public donne de l’argent aux artistes en signe d’appréciation s’il a aimé leur performance. C’est le cadeau le plus précieux que j’ai reçu jusqu’à aujourd’hui. En 2019, j’ai eu le privilège de travailler avec Peter Brook pendant quelques mois, lors de la reprise de The Prisoner. Je dirais qu’il y a un avant et un après Peter dans ma vie artistique. Il aime poser des questions et écouter les gens. J’ai réalisé que le travail d’un acteur pouvait être simple. Un soir d’été, j’assistais à une représentation de Therukoothu, une forme de théâtre traditionnel tamoul, dans un village du Tamil Nadu. Normalement, ce spectacle se déroule sur une scène ouverte. Les gens viennent avec un matelas pour assister au spectacle, qui commence à 22h et se termine à 7h le lendemain matin. 80% du public s’endort en général après une heure. Ce soir-là, il s’agissait d’un épisode du Mahabharata dans lequel le roi guerrier Karna demande à sa femme la permission de participer à la bataille finale. C’est le vétéran Munusaamy, interprète de Therukoothu, qui jouait le rôle de Karna, et son neveu Raghavan, un interprète magistral lui aussi, lui faisait face dans le rôle de sa femme. Cette nuit-là, alors que presque tout le monde dormait, à l’exception de quelques fans fidèles, j’ai été témoin de la magie du jeu de l’acteur. C’est à ce moment-là que je suis retombé amoureux du jeu du comédien.  

<em>Lacrima</em> de Caroline Guiela Nguyen  © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
Lacrima de Caroline Guiela Nguyen © Jean-Louis Fernandez

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je me sens plus vivant et plus proche de moi lorsque je suis sur scène ou devant une caméra. Ce sont les créations auxquelles j’ai participé qui ont façonné l’être humain que je suis aujourd’hui. C’est un miroir dans lequel vous voyez le reflet de votre moi intérieur et en même temps le reflet de la société qui vous entoure. En disant cela, la relation avec mon travail change constamment avec le temps. Les choses que je prenais pour la vérité ultime se sont estompées au fil des années. Comme un oiseau qui perd constamment ses vieilles plumes pour en faire pousser de nouvelles, je suis dans une phase de perte de mes anciens liens et de construction de nouveaux liens avec mon métier.  

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les gens, avec leur innocence et leur générosité.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
La scène a été ma maison pendant plus d’une décennie. Je veux dire littéralement. Le temps que j’ai passé sur scène est plus important que le temps que j’ai passé en dehors de la scène dans la vie réelle. Sur scène, je suis libre de vivre mes émotions sans préjugés ; je peux faire des bêtises sans être punie. J’aime passer du temps sur scène, je n’aime pas être assis à l’extérieur, ni attendre de monter sur les planches. Pour dire les choses simplement, je serais très heureux d’être un arbre sur scène si je pouvais rester debout pendant toute la durée de la pièce. Telle est ma relation avec la scène.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Bien sûr, mon cœur. 

<em>Kadaseela Biriyani</em> de Nishanth Kalidindi © Maestros and Panoramas
Kadaseela Biriyani de Nishanth Kalidindi © Maestros and Panoramas

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Joël Pommerat, Milo Rau, Christiane Jatahy sont les quelques metteurs en scène de théâtre avec lesquels j’aimerais travailler. J’ai vu leurs œuvres et je les aime beaucoup. Néanmoins, je suis novice dans l’univers du théâtre européen. Je dois encore découvrir les metteurs en scène et leurs œuvres. J’aimerais travailler avec quelqu’un qui repousse mes limites en tant qu’acteur.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Roméo et Juliette en version comédie musicale, dans une véritable boîte de nuit, est le projet dont je rêve et que j’aimerais créer.  Jouer tous les personnages de Shakespeare et de Tchekhov. Monter sur scène au moins cent fois par an. 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Les Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, surplombés par un arc-en-ciel.


Lacrima de Caroline Guiela Nguyen
Création au Festival d’Avignon juillet 2024
Durée 2h55

Tournée
Du 24 septembre au 3 octobre 2024 : Théâtre national de Strasbourg
20 et 21 novembre 2024 : La Comédie Centre dramatique national de Reims
Du 28 au 30 novembre 2024 : Piccolo Teatro di Milano (Italie)
Du 7 au 11 décembre 2024 : Théâtre du Nord Centre dramatique national – Lille Tourcoing Hauts-de-France
18 et 19 décembre 2024 : Tandem Scène nationale d’Arras-Douai
7 janvier au 6 février 2025 : Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris)
13 au 21 février 2025 : Les Célestins Théâtre de Lyon
26 au 28 février 2025 : Théâtre national de Bretagne (Rennes)
14 et 15 mars 2025 : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
20 et 21 mars 2025 : Théâtre de Liège (Belgique)
Du 28 au 30 mars 2025 : Centro Dramático Nacional (Espagne)

Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam
et en vidéo Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont
et les voix de Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan, Jessica Savage-Hanford
Texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen
Traductions Nadia Bourgeois, Carl Holland, Rajarajeswari Parisot (langue des signes française, anglais, tamoul)
Collaboration artistique Paola Secret
Scénographie Alice Duchange
Costumes et pièces couture Benjamin Moreau
Musique Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois, Antoine Richard 
Son Antoine Richard en collaboration avec Thibaut Farineau
Lumière Mathilde Chamoux, Jérémie Papin
Vidéo Jérémie Scheidler
Motion Design Marina Masquelier
Coiffure, postiches et maquillage Émilie Vuez
Casting Lola Diane
Consultation artistique Juliette Alexandre, Noémie de Lapparent
Musiques enregistrées Quatuor Adastra – quatuor à cordes
Traduction en anglais pour le surtitrage Panthea (anglais)
Assistanat à la mise en scène Iris Baldoureaux-Fredon
Assistanat à la dramaturgie Louison Ryser, Tristan Schinz, Hugo Soubise
Régie générale Stéphane Descombes, Xavier Lazarini

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